De mémoire de Congolais, l’évènement est exceptionnel : à peine rentré de New York où il a signé l’accord sur le climat, et suivant de près la préparation des obsèques nationales réservées à Papa Wemba, le président Kabila a pris deux heures pour recevoir Didier Reynders, le ministre belge des Affaires étrangères ! L’entretien s’étant déroulé en tête à tête, rien n’a filtré des propos du chef de l’Etat. Quant au ministre belge, on sait, au minimum, qu’il a mis ses interlocuteurs congolais en garde contre les restrictions des libertés et la fermeture de l’espace public, soulignant que la « responsabilité personnelle » des personnalités chargées de l’ordre public était engagée, ce qui représente une menace à peine voilée…Il a aussi proposé d’entamer sans attendre les premières étapes du processus devant aboutir aux élections, c’est-à-dire les opérations d’enrôlement sur les registres électoraux et à tous ses interlocuteurs, il a souligné que le « momentum » actuel n’allait plus durer longtemps. Ce qui signifie, en clair, qu’il est encore temps de fixer des échéances électorales claires, d’entamer réellement un dialogue politique réunissant la majorité présidentielle et des formations d’opposition bref de redresser la barque et de fixer un cap précis…Car sinon…
La menace subliminale, c’est la presse congolaise qui la formule en clair: « tout peut arriver » titre « le vrai Modérateur » soulignant que « les populations congolaises et la communauté internationale ne cachent plus leur inquiétude face à la dégradation du climat sociopolitique ». Quant au Potentiel, dénonçant « les inquiétantes répressions » et la « chasse aux sorcières » il craint que « cette descente aux enfers plombe toutes les avancées démocratique que le pays a engendré ces dix dernières années ».
Il est vrai que tous les feux passent progressivement au rouge : il est pratiquement certain que, faute de budget et d’agenda précis, la Commission électorale indépendante ne pourra pas organiser de scrutin dans les délais requis. Quant à suggérer au président de chercher, au sein de sa majorité, une personnalité qui jouerait le rôle d’un Medvedev aux côtés d’un Poutine, c’est-à-dire de s’effacer au profit d’un homme de confiance, voilà qui est plus vite dit que fait. Car qui jouit réellement de la confiance de Kabila et serait capable de lui succéder avec loyauté et compétence ? Des noms sont cités, ceux de personnalités du sérail aujourd’hui passées à l’opposition, comme Moïse Katumbi, qui en bon président d’un club de foot marque aujourd‘hui des points mais prend des risques croissants. D’autres noms circulent, ceux de fidèles au sein du parti, comme l’actuel président de l’Assemblée Aubin Minaku, voire l’actuel premier Ministre Matata Mponyo. Mais peut on dire que ces hommes, quelle que soit leur valeur personnelle, maîtrisent une armée encore en pleine structuration, connaissent les dessous des relations avec les pays voisins, soient à même de réformer le système judiciaire encore tellement déficient et corrompu ?
Au sein de la population cependant, on constate un grand désir de « changement », d’ « alternance », sans qu’une solution alternative fasse l’unanimité, car la classe politique, dans son ensemble, demeure discréditée. Et surtout, les chiffres de croissance brandis par le Premier ministre, ses réalisations concrètes ne pèsent pas encore lourd au regard des difficultés de la majeure partie de la population. Car si la politique échauffe les esprits, c’est peut-être l’économie qui aura le dernier mot : au Congo comme en Angola, M. Reynders a découvert des Etats frappés de plein fouet par la chute des prix des matières premières et l’effondrement des prix du pétrole. Luanda comme Kinshasa ont du revenir vers le FMI pour solliciter un crédit d’un milliard 700 millions de dollars dans le cas de l’Angola, de 300 millions de dollars dans le cas de la RDC. Mais le Congo Kinshasa est bien plus fragile que son voisin, sa monnaie s’est dépréciée de 2,4% en trois mois, les prix se sont envolés et le panier de la ménagère s’est allégé : c’est à nouveau par petits tronçons qu’on achète les poulets !
Après quelques années d’embellie et d’espoir, la population a le sentiment que la crise frappe à nouveau, et si elle devait être déclarée, la faillite de la BIAC (Banque internationale pour l’Afrique au Congo) l’une des quatre plus grandes banques du pays, qui compte 150 agences dans seize villes, ruinerait la confiance encore très limitée dans le système bancaire et mènerait à la révolte les petits épargnants, embryons d’une future classe moyenne.
A vrai dire, même si M. Reynders n’a pas eu le temps d’en prendre la mesure, la seule véritable inconnue au Congo, c’est le potentiel de colère populaire. Dans le Katanga fidèle à Katumbi et qui n‘accepte pas son découpage en quatre provinces, le mécontentement est évident, à Kinshasa où se déploie l’arrogance des nouveaux riches, la grogne est patente, malgré les larges avenues et les nouveaux bus… A Beni dans le Nord Kivu, la violence meurtrière est quotidienne. Les frustrations politiques s’ajoutant à la crise économique et au désespoir social, le Congo n’attendrait-il qu’une étincelle pour exploser ? Après avoir commandé du nouveau matériel de police et autres instruments de répression, les autorités se disent prêtes à toute éventualité. Mais 20% de la population est aujourd’hui dotée d’un portable, vingt millions de Congolais ont accès à Internet : si le feu se déclare, il se propagera au fil des réseaux et la coupure des moyens de communications ne fera qu’accentuer la colère des jeunes…
Le « momentum » décrit par Didier Reynders est peut-être l’un des derniers…
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