Spécialiste de la question des Grands Lacs et de l’Afrique centrale, Me Célestin Tunda Ya Kasende est vivement préoccupé par « le climat » qui prévaut dans la région, particulièrement au Congo Brazzaville où un referendum a été organisé dimanche 25 octobre 2015, permettant à la population de se prononcer sur l’opportunité d’une révision constitutionnelle.
«Il n’est pas certain que les modèles de démocratie transposés chez nous doivent nécessairement réussir», estime le vice-ministre honoraire des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo (RDC), analyste et juriste.
Maître Tunda, le Congo Brazzaville a organisé un referendum hier pour être fixé sur la nécessité d’une éventuelle révision de la Constitution en rapport notamment avec le mandat présidentiel. Cette démarche est-elle démocratique ?
Oui, c’est un principe démocratique, mais aussi un principe de droit, prévu dans toutes les Constitutions du monde. C’est une procédure qui permet justement aux dirigeants d’interroger le peuple sur une situation qui concerne la marche de leur pays, le fonctionnement des institutions, ou bien sur les textes qui régissent le pays.
Il n’y a pas plus démocratique que cela comme procédure. Je crois donc que la voie suivie par le président Sassou est une voie tout à fait normale, car fondée sur le plan de droit.
D’ailleurs, la position du président français est assez éloquente à ce sujet. Il a dit que le président Sassou est tout à fait libre de recourir au referendum en interrogeant son peuple, puisque cela fait partie des prérogatives d’un dirigeant de n’importe quel pays.
C’était là la première version donnée par le président français. Il n’y a donc aucune inquiétude sur le plan du droit ou sur le plan politique. C’est d’ailleurs la voie indiquée pour que le peuple puisse se prononcer sur les grands enjeux de l’heure.
Au cas où les électeurs congolais se prononceraient pour la modification de la Constitution dans la voie souhaitée par le président Sassou Ngouesso, ses pourfendeurs occidentaux auraient-ils des raisons viables pour continuer à le menacer ?
Ils n’auraient pas des raisons ! D’abord, parce que la modification qu’il a apportée sera consignée dans la Constitution, qui est la loi fondamentale du Congo. Et deuxièmement, il ne faut pas oublier que presque tous les pays africains sont déjà indépendants. Ils ont déjà acquis leur souveraineté nationale et internationale.
Juridiquement, ils ont la capacité de se gérer, de s’autodéterminer et de choisir le modèle de gestion qui corresponde à leur mode d’intérêt respectif. Donc, on ne devrait pas se préoccuper de ce que les experts occidentaux vont dire ou penser.
Il faut plutôt se préoccuper de ce que nos peuples veulent et pensent. Et ici particulièrement, ce qui vaut, c’est ce que le peuple congolais veut par rapport à ses intérêts. Surtout lorsque nous sommes dans un principe qui ne viole aucun principe de droit.
Et les Congolais sont libres de se choisir les institutions, les formes de l’Etat, les modèles de gouvernement qu’ils veulent. C’est à eux que cela revient. Je ne vois donc pas pourquoi les autres peuples auraient à s’opposer au choix librement opéré par le peuple congolais !
Et si jamais le recours au referendum arrive à aider légalement le président Sassou à se maintenir au pouvoir au delà du délai initialement prévu par la Constitution de son pays, croyez-vous que ce modèle pourrait inspirer d’autres dirigeants africains arrivés fin mandat ?
Je crois que cette formule ne dépend pas seulement de Brazzaville. Ça dépend d’un pays à l’autre. Vous savez, sur le plan constitutionnel, il y a des pays qui ont un régime présidentiel, d’autres un régime semi-présidentiel ou un régime parlementaire.
Certains Etats comme la Libye avaient un régime sui generis, la Jamahiriya libyenne, forme spéciale de gouvernance qui avait stabilisé le pays en amenant le peuple à la prospérité. Certains autres pays évoluent comme des royaumes. On en voit en Europe, en Asie, en Afrique…
Et partout, chaque peuple est comptable de ses propres choix. Que ce soit sur le plan économique, ou culturel, politique, juridique… Le referendum au Congo-Brazzaville ne sera donc pas le premier au monde où la population aura à répondre à une question essentielle !
Le Général De Gaulle est passé par le referendum quelques fois pour interroger les Français. Et bien, les autres peuples, en Amérique ou ailleurs, sont passés par cette voie juridique pour se déterminer. Et si maintenant, d’autres pays Africains passent par cette voie, dira-t-on qu’ils ont été influencés par le Congo Brazzaville ?
Pas nécessairement, puisque tout dépend du modèle politique qu’ils veulent se doter. Ils passent peut-être par un mécanisme de droit, mais ça n’a rien à avoir avec Brazzaville...
Pouvez-vous être plus explicite ?
Le Rwanda, par exemple, est aujourd’hui à la fin de la modification de sa Constitution. Le peuple rwandais s’est prononcé. D’abord, au niveau du Parlement.
Ça dépend du mécanisme auquel on recourt ! Parce qu’une révision, on peut la faire soit par voie parlementaire, soit en allant directement au referendum en interrogeant le peuple.
Je suis d’avis que l’Occident doit se demander aujourd’hui si, dans tel ou tel pays, il y a la sécurité, et si dans tel ou tel autre pays, le peuple mange à sa faim, sa santé s’améliore, l’éducation de sa jeunesse est au rendez-vous.
Quant à la forme ou au modèle politique, je crois que c’est au peuple de se déterminer. C’est au souverain primaire de se prononcer sur les dirigeants qu’il désire. Que diriez-vous donc si, nous, les Africains nous devrions d’abord donner notre caution pour valider tel ou tel dirigeant qui gouverne un pays d’Europe, d’Asie ou d’Amérique ? Il y a de ceux-là qui, eu égard à nos appréciations, ne méritent pas de diriger.
Mais, puisqu’ils ont été choisis par leurs peuples, nous, nous inclinons ! Jusqu’à quand devrait-on continuer à estimer que nous sommes encore des mineurs ou des esclaves ? Moi, je crois que, nous, les Africains, nous sommes déjà des peuples affranchis, mûrs et responsables. Et quand nos peuples choisissent des dirigeants ou des types de régime, ce n’est pas pour brûler leurs pays ! Au contraire ! C’est juste pour consolider leurs intérêts.
Vous venez de séjourner récemment en Europe. Quelles sont les différentes opinions que vous avez recueillies de principaux dirigeants européens ?
J’ai profité justement de mon séjour à Bruxelles et en France pour rencontrer quelques officiels européens et des dirigeants du monde socioculturel. Ici, dans notre pays, il y a une frange des populations qui croit que l’Occident n’est pas d’accord avec une certaine vision sur le plan politique. Que le calendrier électoral se confond à la démocratie…
Bien sûr, il y a justement en Occident un courant qui estime que nous devrons absolument suivre le calendrier électoral, et qu’on ne doit pas dépasser d’un seul jour sans pouvoir organiser les élections. Parce qu’aux yeux de quelques uns, c’est le calendrier arithmétique, jour pour jour, qui constitue le fondement de la démocratie...
Loin de là ! La démocratie, c’est l’art de gérer un pays en prévoyant tout d’abord les réponses apportées aux questions que se pose une population. J’étais satisfait d’une chose : de constater justement qu’en Europe, il y a des gens qui partagent notre point de vue, convaincus qu’on ne peut pas nous imposer des modèles venant d’ailleurs.
Qu’on ne doit venir les plaquer dans notre pays. Parce qu’il n’est pas certain que ces modèles de démocratie transposés vont nécessairement réussir chez nous. En tout cas, beaucoup de ceux qui pensent ainsi sont d’avis que le Congo doit se tracer son chemin !
Que le Congo doit avoir son modèle politique, brandir sa propre vision qui réponde aux problèmes qui se posent dans notre pays. Puisque le problème dans notre pays n’est pas d’aller aux élections aujourd’hui ou demain ! Cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas des élections !
En ce qui concerne par exemple mon parti, le PPRD est prêt à aller aux élections même demain ! La preuve ? C’est que nous avons déjà déposé la liste de nos candidats aux provinciales, et cela dans toutes les circonscriptions du pays ! Nous étions même prêts à aller au vote, n’eussent-été les tergiversations de la Ceni !
D’après-vous, si les élections ne sont pas nécessairement une priorité, que devrait-on alors privilégier ?
Nous soutenons aujourd’hui que, même si les élections devraient se dérouler demain, il ne faudrait pas y aller dans n’importe quelle condition ! Et il faut que la communauté internationale nous comprenne et nous accompagne dans l’organisation de bonnes élections !
Les bonnes élections, c’est celles qui ne viennent pas susciter la haine entre les Congolais. Ce n’est pas celles qui viennent diviser les Congolais, ni influencer certains groupes à porter des armes. Les bonnes élections ne sont pas celles qui viennent brûler le pays ! Les bonnes élections sont celles qui vont consolider la stabilité à laquelle nous sommes arrivés aujourd’hui grâce au génie politique de Joseph Kabila. Les bonnes élections sont celles qui permettront de consolider la sécurité dans toutes les contrées de la RDC.
Grâce à la stratégie de Joseph Kabila, nous avons anéanti quasiment tous les groupes armés, en l’occurrence le M23. D’autres petits groupes armés qui opèrent à l’est du pays sont en train d’être anéantis. Eh bien, les élections devraient être un élément de plus pour consolider ces acquis là.
Dans des pays où l’on a contraint la population à des élections anticipées comme en Egypte, après le Printemps arabe, un dirigeant comme Mohamed Morsi, élu haut la main à l’issue des élections libres, démocratiques et transparentes, n’a pas réussi à se maintenir longtemps au pouvoir trois mois après sa prise de ses fonctions.
Nous ne voulons pas non plus subir ce qui est arrivé en 1993 au Burundi, au lendemain de l’élection de Melchior Ndadaye, arrêté aussi et exécuté au vu de sa garde trois mois après sa prise de fonction. Le conflit s’est particulièrement perpétré jusqu’aujourd’hui !
Alors, à quoi auront servi ces élections précipitées, instrumentalisées ? Nous ne voulons donc pas de ces gens qui viennent instrumentaliser les élections ici chez nous.
En 2006 comme en 2011, le président Joseph Kabila a réussi à organiser les élections, sans la pression de quelqu’un d’autre ! Pourquoi ne lui ferait-on pas confiance aujourd’hui ? Avant d’agir, il regarde à gauche et à droite pour voir où se trouvent les intérêts du pays.