Kinshasa, le 25 février 2015
Monsieur le Ministre,
Grâce à l’aimable traduction faite par le journaliste Maroun Labaki, j’ai pris connaissance, comme d’autres compatriotes, de la volée de bois vert que vous avez cru devoir infliger aux autorités de la RDC auxquelles vous avez reproché « des mesures liberticides », vous insurgeant particulièrement contre des arrestations arbitraires, l'instrumentalisation de la justice ainsi que le blocage d'Internet et des réseaux sociaux par lesdites autorités. Passons sur le ton : n’est pas diplomate qui veut…
On aurait pu mettre les propos vitriolés dont le gouvernement qui vous recevait a été gratifié sur le compte de ce mimétisme colonial par procuration auquel d’autres émissaires belges en d’autres temps nous avaient habitués. Il faut, hélas, constater qu'il s’agit tout simplement d'ignorance. Votre discours dans une langue, le néerlandais, que très peu de Congolais maîtrisent, témoigne en effet d’une méconnaissance du fait que le monde a changé depuis l'indépendance de notre pays en 1960 et que les fictions infantiles de Tintin au Congo sont passablement dépassées comme grille de lecture des faits et des idées.
Certes, l’esprit philanthropique qui vous pousse à prendre la défense des populations congolaises qui seraient victimes des sévices est-il louable. Mais j’ai du mal à comprendre pourquoi au moment même où tous les pays du monde, y compris le vôtre, prennent des mesures conservatoires et envisagent un resserrement des législations contre la cybercriminalité, vous vous évertuez à dissuader la RDC, victime de l’extrémisme violent, d’entreprendre cet exercice légitime de vigilance.
Lundi 23 février 2015, à l'occasion du dîner annuel du CRIF, le Président de la République française, M. François Hollande, a déclaré à ce sujet que « les réseaux sociaux font partie de notre monde. Ils doivent faire partie de notre législation. Les propos racistes, xénophobes doivent sortir du champ du droit de la presse pour intégrer le droit pénal ». Vous entendra-t-on, lors d’une prochaine visite en France, adresser des remontrances à ce chef d’Etat européen qui vient, en plus, de dépêcher son ministre de l’Intérieur à la Silicon Valley pour placer les majors américains d’Internet devant leur responsabilité en leur exigeant un cahier des charges pour «mieux contrôler les applications des réseaux sociaux » ?
Peut-être vous rendrez-vous ensuite au Saint-Siège pour y faire grief au Pape François de ses propos peu après l’attentat de Charlie Hebdo lorsqu’il a déclaré que « l'impératif sécuritaire peut commander que des limites soient apposées à la liberté d'expression » !
Last but not least, il vous faudra aussi envisager d’admonester les autorités américaines et nigérianes qui viennent de prendre la « mesure liberticide » de boucher le compte twitter de Boko Haram au Nigeria…
Je suis sûr, Monsieur le Ministre, que vous n’y pensez même pas. D’où ma perplexité de vous voir édicter depuis les jardins de l’Ambassade belge à Kinshasa un principe d’immunisation des auteurs de délits et crimes commis au moyen de la toile, principe qui ne serait d’application qu’en République démocratique du Congo.
Lorsque des malfrats ont tiré récemment sur des agents de l’ordre dans la région de Liège (Belgique), sans faire des victimes, la police de Verviers en a tué deux sans provoquer la moindre indignation de votre part. Lorsque, presque dans le même temps, deux policiers congolais ont été assassinés, l’un par balle et l’autre lynché par une bande bien identifiée, vous embouchez allègrement les trompettes de l’apologie du crime, vitupérant contre l’arrestation des présumés coupables de ces actes odieux.
Les personnes arrêtées lors des événements de triste mémoire que les Congolais ont vécu les 19 et 20 janvier derniers, avaient été, dans leur grande majorité, surprises par la police en flagrant délit de pillage, d’incendie criminel, de vandalisme ou de violences mais vous vous permettez d’enjoindre à la justice de ne pas les poursuivre. Illusion du savoir immédiat ou réceptivité excessive aux caricatures de la rumeur ? Peut-être les deux.
Ne sachant pas grand chose sur votre trajectoire personnelle, j’ai tendance à vous accorder le bénéfice du doute et à vous juger moins sévèrement que je le ferais pour cet ancien ministre belge qui avait pris l’habitude depuis 2001 de se fourrer jusqu’au cou dans les affaires congolaises en s’autoproclamant « faiseur de rois » sous nos tropiques. Très amer depuis qu’un éphémère contrat de « public relations » qu’il avait conclu avec le gouvernement congolais ne fut pas renouvelé, l’homme n’a pas cessé de se répandre en imprécations haineuses contre le président Kabila. Il aurait en outre pris ombrage de la signature des contrats « mines contre infrastructures » entre la RDC et la Chine ; des contrats qui gênaient certains intérêts belges dont on le dit très proche.
Je suis néanmoins perturbé devant le fait que les présumés pillards des 19 et 20 janvier dont vous êtes devenu l’avocat passionné avaient ciblé quasi exclusivement les intérêts chinois à Kinshasa.
J’ai donc la pénible impression que c’est moins l’intérêt des « pauvres Congolais » que celui de ces groupes mercantilistes rivaux des Chinois qui nous oppose. Plaise à Dieu qu’elle soit fausse !
Lambert Mende Omalanga
Ministre de la Communication et Médias de la RDC