Contexte
Sans conteste, le regroupement électoral initié par l’ancien président congolais Joseph Kabila, le Front Commun pour le Congo (FCC), s’est arrogé une large majorité des sièges à l’Assemblée Nationale, aux Assemblées Provinciales, au Sénat et dans les bureaux des Assemblées Provinciales. Si la tendance se maintient, il y a des fortes chances que le FCC remporte largement les bureaux de l’Assemblée National et du Sénat ainsi que les élections des gouverneurs de province. Une fois accomplie ce tour de force, nous pourrons conclure en toute objectivité que la marge de manœuvre législative du Chef de l’Etat sera sensiblement restreinte vu que le FCC contrôlera indéniablement le pouvoir législatif à tous les niveaux.
Toutefois, après une analyse approfondie, force est de conclure que cette plateforme FCC risque de s’arroger également une grande partie de la capacité financière de l’Etat, fragilisant encore un peu plus, l’action du Chef de l’Etat. Je m’explique !
Principes
Le Président de la République s’étant inscrit dans une logique de l’effectivité d’un Etat de droit, l’application stricte de la loi pourrait s’avérer désavantageux quant à la réalisation de son action politique. Il s’agit des finances publiques dont deux obligations constitutionnelles peuvent être source de grave crise institutionnelle. Il s’agit de la problématique des recettes provinciales et du mécanisme de péréquation.
D’une part, l’article 175 de la Constitution stipule que « la part des recettes à caractère national allouées aux provinces est établie à 40%.Elle est retenue à la source ». Toutefois, cette disposition n’a jamais été appliquée. A la place de celle-ci, le pouvoir central perçoit 100% des recettes à caractère national qu’il redistribue sous forme de rétrocession aux provinces. Une méthode qui, de toute évidence ne fonctionne pas, car nous avons appris, via une tribune publiée par l’ancien Premier Ministre Adolphe Muzito, que « sur un montant total représentant le 40 % des recettes à caractère national, montant inscrit au budget de l’Etat chaque année et dû aux provinces et entités décentralisées, celles-ci ne reçoivent en moyenne que de 10%. La quasi-totalité restante est toujours gérée par le Gouvernement central ».
D’autre part, l’article 181 de la Constitution stipule : « il est institué une Caisse nationale de péréquation. Elle est dotée de la personnalité juridique. La Caisse nationale de péréquation a pour mission de financer des projets et programmes d’investissement public, en vue d’assurer la solidarité nationale et de corriger le déséquilibre de développement entre les provinces et entre les autres entités territoriales décentralisées. Elle dispose d’un budget alimenté par le Trésor public à concurrence de dix pour cent de la totalité des recettes à caractère national revenant à l’Etat chaque année ». A cet effet, il a été promulgué la Loi organique n° 16/028 du 08 novembre 2016 portant organisation et fonctionnement de la Caisse nationale de péréquation. Toutefois, la mise en place des acteurs (Direction Général et Conseil d’administration) et l’effectivité de son fonctionnement se fait encore attendre préjudiciant ainsi les provinces les plus défavorisées.
Problématique
Sur le plan légal, la pratique de la rétrocession aux provinces est anticonstitutionnelle et peut constituer un acte de détournement de denier public. En effet, l’acte de rétrocession est en lui-même anticonstitutionnel car l’article 175 de la Constitution précise que la retenue se fait à la source. Ainsi, on devrait normalement permettre au service financier provincial de percevoir directement 40% d’une recette nationale constatée dans la province. Quant au détournement, le fait de percevoir 100% des recettes nationales, sachant que la Constitution ne permet qu’une perception de 60%, tout en ne rétrocédant aux provinces qu’en moyenne 10% des montants perçus, peut être considéré comme une forme de détournement des recettes provinciales au profit du pouvoir central. Une pratique qui va à l’encontre des principes régissant un état de droit tel que le prône l’actuel Chef de l’Etat.
Quant à la péréquation, si le nouveau régime s’inscrit, dans la mise en place effective d’un Etat de droit, il n’aura pas d’autres choix que de rendre la Caisse Nationale de Péréquation fonctionnelle et soustraire à la même occasion 10% de ces recettes au financement des projets et programmes d’investissement public dans les provinces défavorisées.
Méthodes
Méthode 1 : Imposition de la retenue à la source
Sous prétexte de respect de la Constitution, notamment de son article 175 et fort de sa majorité écrasante au Parlement, le FCC peut imposer directement dans la Loi des finances la retenue à la source de 40% des recettes à caractère national au profit des provinces qui sont, pour la majorité, désormais sous son contrôle.
Méthode 2 : Attaquer la Loi des Finances avant la promulgation
Si toutefois la prochaine Loi des finances prévoit encore des rétrocessions aux provinces et compte tenu de la nouvelle configuration des forces politiques, un dixième seulement des députés de l’Assemblée Nationale, soit seulement 50 députés, pourraient, dans les quinze jours qui suivent l’adoption de la prochaine Loi des finances, faire un recours à la Cour Constitutionnelle visant à faire déclarer cette Loi des finances à promulguer non conforme à la Constitution comme le permet l’article 47 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle. Si cette requête aboutit à déclarer le processus de rétrocession aux provinces illégales, le pouvoir central n’aura d’autres choix que de modifier le projet de Loi des finances et permettre la retenu à la source, par les provinces, de 40% des recettes à caractère nationale comme l’exige l’article 175 de la Constitution.
Méthode 3 : Attaquer la Loi des Finances après la promulgation
Si cependant, le Président de la République promulgue une Loi des finances prévoyant ce mécanisme de rétrocession aux provinces, toute personne pourrait invoquer l’inconstitutionnalité de cette Loi des finances auprès de la Cour Constitutionnelle comme le permet l’article 48 la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle. Si cette dernière obtient gain de cause, le fait, pour le Président de la République, d’avoir promulgué ladite Loi des finances pourrait être interprété comme une violation intentionnellement de la Constitution synonyme de « haute trahison » tel que le prévoit l’article 165 de la Constitution. Une situation extrêmement délicate compte tenu du fait que le FCC détient une large majorité des sièges au Parlement qui pourrait lui permettre, au regard de l’article 166 de la Constitution, de poursuivre ou de mettre en accusation le Président de la République pour « haute trahison ».
Conséquences
Les recettes annuelles du pouvoir central de la RDC ne dépassant pas les 5 milliards USD, une amputation à la source de 40% de ce montant affaiblirait considérablement les capacités financières du pouvoir central par ricochet le programme du Président de la République. A cet effet, il faut souligner qu’actuellement, environ 50% des recettes nationales sont consacrées à la rémunération et au fonctionnement de l’Etat. Si nous appliquons à cela les 10% des recettes que l’on devra dépenser en investissement au regard de l’obligation constitutionnelle de péréquation, le pouvoir central n’aura d’autre tâche que de payer les fonctionnaires, le fonctionnement des institutions et d’appliquer les dépenses à titre d’obligation de péréquation. Une situation tout à fait légale, certes, mais qui rendrait l’effectivité de tout programme gouvernemental hypothétique.
De plus, les recettes du pouvoir central provenant principalement des provinces de Kinshasa, Kongo Central, Lualaba et Haut Katanga, ces provinces, grâce à la retenue à la source des recettes à caractère nationale, pourraient, sur le plan financier, rivaliser avec le pouvoir central. N’est-ce pas aussi cela, le but du FCC qui a pris le soin de s’octroyer la majorité élus dans les Assemblées Provinciales ? Ne serait-ce pas cela son objectif premier à la prochaine élection des gouverneurs de province ? S’accaparer d’une grande part de la capacité financière de l’Etatvia les provinces de Kinshasa, Kongo-Central, Lualaba et Haut-Katanga. Comment alors, permettre au pouvoir central de respecter la Constitution tout en ne se dépouillant pas de sa capacité financière ?
La solution à oublier : La révision constitutionnelle
La prérogative se définissant comme un avantage attaché à un état, nous pouvons à ce stade, exclure toute possibilité de modification de l’article 175 de la Constitution ayant pour but d’empêcher la retenu à la source des 40% des recettes à caractère nationales. En effet, l’article 220 de la Constitution stipule qu’il est formellement interdit toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les prérogatives des provinces.
De plus, même si le projet de révision constitutionnelle de l’article 175 de la Constitution est soumis et traité au niveau du Parlement, celle-ci sera jugée comme non fondé compte tenu que le FCC détient plus que la majorité absolue de chaque chambre comme le prévoit le 2ième alinéa de l’article 218 de la Constitution.
Solution
Selon l’exposé des motifs de la Constitution, au deuxième alinéa du point 1 intitulé « De l’état de la souveraineté » il est stipulé qu’« en sus de ces compétences, les provinces en exercent d’autres concurremment avec le pouvoir central et se partagent les recettes nationales avec ce dernier respectivement à raison de 40 et de 60 %. ». A cet effet, l’article 175 de la constitution confirme que « la part des recettes à caractère national allouées aux provinces est établie à 40%. ». Toutefois, elle rajoute dans l’alinéa suivant que « la loi fixe la nomenclature des autres recettes locales et la modalité de leur répartition. ».
Ces dispositions constitutionnelles nous révèlent, contrairement à ce qui se fait actuellement, qu’il n’existe pas de taxe, d’impôt, droit et redevance du pouvoir central ni provincial, mais une unité fiscale pour les deux paliers de pouvoir (Central et provincial) qui se partage les fruits découlant de la manne fiscale à hauteur de 60% pour le premier et 40% pour le second. Seules les entités locales ont droit une nomenclature des droits, taxes et redevances qui leur sont propres.
Il est important de comprendre cela car si les provinces retiennent à la source 40% des recettes à caractère national, ils doivent se départir au même moment des recettes provenant des impôts, taxes, redevances provinciales actuelles.
Pour ce faire, il faut donc abroger les Ordonnances-loi fixant la nomenclature des droits, taxes et redevances du Pouvoir central et provincial par l’adoption d’une Loi portant nomenclature des droits, taxes et redevances à caractères nationales qui regroupera tous les droits, taxes et redevances du Pouvoir central et provincial actuel. Grace à cela, l’assiette fiscale du pouvoir central sera élargie, permettant ainsi à l’exécutif national d’amoindrir l’impact financier de la retenue à la source des 40% des recettes à caractère national par les provinces. Le seul obstacle à cette procédure est la majorité écrasante du FCC à l’Assemblée Nationale qui pourrait bloquer l’adoption de cette loi dans le but d’affaiblir la capacité financière du pouvoir central au profit des provinces. Toutefois, le Chef de l’Etat pourrait intenter une requête en inconstitutionnalité de l’Ordonnance-loi fixant la nomenclature des impôts, droits, taxes et redevances des provinces pour contourner cet obstacle.
Cependant, sans l’application de ce mécanisme, il y a des fortes chances que le pouvoir central soit dépouillé d’une grande partie de sa capacité financière au profit des provinces gérées et contrôlées par le FCC.