La lettre ouverte de Moïse Moni Della à Joseph Kabila

Vendredi 17 avril 2015 - 09:21

Monsieur le Président de la République Démocratique du Congo
Au Palais de la Nation à Kin¬shasa/Gombe.
Avec l’expression de nos hommages les plus dé¬férents
Concerne : Notre indigna¬tion
Excellence Monsieur le Pré¬sident de la République,
L’honneur nous échoit de venir auprès de votre auto¬rité vous faire part de notre indignation sur la situation politique de l’heure suscep¬tible d’empêtrer l’inclusivité des élections gage d’une paix durable en RDC. Il s’agit notamment de :
- La problématique du calendrier électoral,
- L’incarcération et la privation de liberté de cer¬tains leaders politiques et d’opinion à la veille des élec¬tions,
- Le découpage ter¬ritorial précipité bien que constitutionnel,
- La découverte de la fosse commune à Maluku.
Excellence Monsieur le Pré¬sident de la République,
A la suite de la publica¬tion du calendrier élector¬al par la CENI portant sur l’organisation d’élections gé¬nérales dans notre pays afin d’aboutir à une véritable al¬ternance politique, il appa¬rait clairement aujourd’hui que lesdites élections ris¬quent de plonger le pays dans la désolation et le cha¬os.
En effet, à la première anal¬yse dudit calendrier, il nous parait loisible de vous sig¬nifier que ce dernier est ir¬réaliste et inconstitutionnel donc il porte en son sein les germes de conflits.
En réalité, son irréalisme est flagrant et nous lais¬se réfléchir s’il n’est pas l’oeuvre de la Majorité Pré¬sidentielle dont vous êtes l’autorité morale. Comment peut-on s’imaginer avec le temps qui nous reste que la CENI prétendrait organiser 12 élections avec des dates superposées? Situation sans précédent qui risquerait de nous amener au glissement que vous voulez à tout prix obtenir pour la prolongation de votre mandat contre la volonté du peuple congolais et de la communauté inter¬nationale.
En outre, comment peut-on faire confiance à la CENI qui fixe un montant exorbi¬tant de 1,400 milliards pour l’organisation de toutes les élections sans tenir compte du budget national, tribu¬taire de toutes dépenses du pays et qui s’évaluerait seulement à 8 milliards?
Ainsi, l’inconstitutionnalité de ce calendrier relève du fait qu’en RDC le droit de vote est garanti par l’article 5, alinéa 5 de la constitution. A ce jour, il n’est pas admis¬sible de prétendre organiser des bonnes élections tout en excluant une catégorie de la population qui, en 2011 éta¬it mineure mais aujourd’hui a atteint l’âge de voter.
Par ailleurs, il est paradoxal, anticonstitutionnel et im¬moral d’appeler les congo¬lais à participer massive¬ment aux élections à tous les niveaux alors que cer¬tains leaders politiques et d’opinion ayant un encrage national croupissent arbi¬trairement dans des pris¬ons. Les uns subissent des harcèlements de tout genre et les autres des achar¬nements judiciaires dans l’objectif de les écarter aux échéances qui pointent à l’horizon. C’est le cas du Président Vital KAMERHE qui subit un procès de la honte.
A ce jour, certains potenti¬els candidats aux élections sont, comme disait Patrice Emery LUMUMBA, relégués dans leur propre pays pour leurs opinions politiques ou croyances religieuses et les autres sont exilés politiques dont leur sort est pire que la mort elle-même, c’est le cas de l’honorable NE MWANDA NSEMI qui, jusqu’à ce jour est interdit de rentrer dans son fief.
Le cas le plus patent, illustra¬tif et exemplatif est celui de l’honorable Roger LUMBALA, victime de l’intolérance poli¬tique. Ce dernier subit des exactions qui se sont trans¬formées en harcèlement et en acharnement de la part du pouvoir, nous citerons entre autre :
- La destruction méchante du siège de son parti politique, le RCDN et le plasticage de la Chaîne de télévision RLTV,
- L’invalidation irré¬gulière de son mandat de Député National,
- Les arrestations ar¬bitraires des membres et sympathisants du RCDN dans les deux Kasaï, les harcèlements, les exactions, les intimidations et les men¬aces de mort à l’égard des dirigeants, cadres et sym¬pathisants dudit parti,
- Le refus de son re¬tour au pays par votre pou¬voir à la veille des élections.
Ne voyez-vous pas, Excel¬lence Monsieur le Président de la République, que ces agissements portent at¬teinte aux principes univer¬sels des Droits de l’homme
N’imaginez-vous pas que les récentes arrestations et intimidations dont ont fait l’objet les défenseurs in¬ternationaux des Droits de l’Homme, « y’en a marre » et « le ballet citoyen », constituent une violation pure et simple de la liberté d’opinion et ternissent votre image devant l’opinion na¬tionale et internationale?
Il serait souhaitable qu’à la veille de la fin de votre man¬dat en 2016, de bien vouloir vous réconciliez avec vos adversaires politiques qui ne sont pas vos ennemis.
Excellence Monsieur le Pré¬sident de la République,
Le processus démocratique avec son point culminant l’organisation et la tenue des élections continue à faire couler beaucoup d’encres et de salives sur la scène politique en RDC, dans la mesure où les élections de 2016 marquent constitu¬tionnellement la fin de votre mandat. Une raison fonda¬mentale explique ces agita¬tions, il s’agit :
De l’intention de pérenniser le pouvoir par votre famille politique qui s’est exprimé par le changement pur et simple de l’actuelle consti¬tution. Suite à cet échec, votre Majorité Présidenti¬elle factice et mécanique a tenté sans succès le pas¬sage en force en cherchant à modifier l’article 220 de la constitution, et par la suite l’article 8 alinéa 3 de la loi électorale qui conditionnait la tenue des élections par l’organisation du recense¬ment général.
Il s’est avéré que cette situ¬ation a provoqué la cassure entre votre famille politique et l’ensemble de la popula¬tion congolaise et a donné lieu en date du 19 au 21 janvier 2015, à des mani¬festations généralisées dans plusieurs provinces de notre pays, qui ont eues comme corolaire les tueries et les arrestations arbitraires de certains de nos compa¬triotes.
En tout état de cause, la Ré¬publique Démocratique du Congo est réellement assise sur le volcan qui peut entrer en éruption à tout moment.
Les évènements du 4 jan¬vier 1959 inattendus par les Belges, la création de l’UDPS par les treize parlementaires avec comme conséquence, la convocation de la Con¬férence Nationale Sou¬veraine, les massacres de chrétiens, la lutte de l’AFDL appuyée par l’ensemble de congolais en 1997, et en¬fin les récents évènements du 19 au 21 janvier 2015 ne sont que des illustrations d’un peuple mature, con¬sciencieux de son avenir et capable de se prendre en charge. Excellence Monsieur le Président de la République,
De tout ce qui précède et tenant compte du temps et des moyens financiers insig¬nifiants que dispose notre pays, nous nous sommes inspirés de la politique de Charles De Gaule. Cette dernière oppose la politique de circonstances, se gardant d’abstraction mais suivant les réalités, préférant l’utile au sublime, l’opportun au retentissant, cherchant pour chaque problème particulier la solution non point idéal mais pratique, peu scrupu¬leuse quant au moyen.
Dé Gaule évoque « le sens de l’équilibre des possibles, de la mesure qui, seul rend durable et féconds les oeu¬vres ».
A cet effet, il est préférable et indispensable que la CENI commence par les élections provinciales suivies des lég¬islatives couplées à la pré¬sidentielle, en laissant aux prochaines institutions, la tâche d’organiser le reste des scrutins.
Cette solution serait l’application de la politique de conscience fondée sur les valeurs, au lieu de faire la politique de convenance et connivence qui ne vise que des intérêts particuliers. Cette politique consiste à influencer la CENI de pour¬suivre les manoeuvres dila¬toires ayant pour objectif de nous amener au glissement avec comme modus ope¬randi, de retarder les élec¬tions présidentielle et lég¬islative en entendant la fin des mandats des Présidents BARACK OBAMA et François HOLLAND.
Par contre, l’histoire ne vous tiendrait pas rigueur, Excel¬lence Monsieur le Président de la République, si vous vous impliquez personnel¬lement à rendre réaliste et constitutionnel ledit calen¬drier, prélude d’une paix du¬rable dans notre pays.
Excellence Monsieur le Pré¬sident de la République,
Tout homme bien avisé et animé de bon sens constate que le climat politique ac¬tuel en RDC est délétère, maussade et macabre. Etant donné que nous sommes à quelques pas des échéances électorales, il nous parait salutaire de vous demand¬er de bien vouloir rasséré¬ner l’atmosphère politique avant et pendant le début des scrutins en posant des actes héroïques concourant à la paix et à la cohésion na¬tionale.
Grâce à votre expérience politique et votre sagesse que vous reconnaissent même vos adversaires poli¬tiques, vous pouvez poser des actes qui seraient ensei¬gnés dans l’histoire politique du Congo et resteraient gravés dans la mémoire de congolais même après la fin de votre mandat, en 2016. Il s’agit notamment :
- De favoriser la con¬vocation d’un dialogue in¬clusif conformément aux Résolutions 2098 et 2211 du conseil de Sécurité, pour discuter des questions pro¬fondes liées au processus électoral,
- De faire appliquer scrupu¬leusement l’amnistie dans l’esprit des concertations nationales. Cette dernière doit revêtir un caractère gé¬néral et non sélectif afin de permettre à tous nos com¬patriotes arrêtés arbitrai¬rement de retrouver leur liberté ainsi qu’à certains leaders politiques forcés en exiles de regagner leur pays en vue de participer aux échéances électorales,
- D’appliquer la dis¬position de l’article 87 de la constitution qui vous donne le pouvoir d’exercer la grâce. Avec ce pouvoir, vous pouvez remettre, com¬muer et réduire les peines de nos compatriotes qui sont jusqu’ici détenus injus¬tement pour qu’ils prennent part active aux échéances 2015-2016 ;
- De soutenir le Séna¬teur Jean-Pierre BEMBA par tous les moyens pour qu’il puisse recouvrir la liberté ;
- De s’impliquer per¬sonnellement pour que les organes de régulation de médias puissent procéder à la réouverture de tous les médias fermés injustement.
Excellence Monsieur le Pré¬sident de la République,
En faisant la rétrospective de l’histoire politique de notre pays, depuis l’indépendance à nos jours, vous remarqu¬erez que plusieurs guerres et crises sont dues aux dis¬criminations et aux frustra¬tions de certains groupes de gens.
En posant ces actes et en vous surpassant ainsi, vous entrerez dans le panthéon de l’histoire mondiale, dans la cour des grands à l’instar de Nelson MANDELA qui, non seulement pardonna ses détracteurs jusqu’à ac¬cepter son bourreau, Fred¬erick Declerck à devenir son vice-président mais aussi accepta de quitter le pouvoir dans les règles de l’art.
Pour l’intérêt supérieur de la nation, nous vous conseil¬lons de ne pas écouter les flatteurs, les zélateurs, les jouisseurs, les profiteurs, les courtisans, les partisans, les vautours et autres par¬asites qui ne vivent qu’au dépend de celui qui l’écoute, et ne se soucient guère de l’intérêt général, comme le corbeau et le renard dans la fable de la fontaine.
Ces derniers seront les pre¬miers à vous abandonner et à vous renier comme ils l’ont fait avec le Président MOBUTU.
A cet effet, seules les élec¬tions ne sont pas l’unique gage de la paix, mais la prise en compte des reven¬dications des uns et des au¬tres nous éviterait les crises vécues lors des élections de 2006 et 2011 car, on ne construit jamais l’unité et l’avenir du pays sur les déchirements. « Mieux vaut un morceau de pain sec avec la paix, qu’une maison pleine de viandes, avec des querelles » proverbes 17 :1.
Excellence Monsieur le Pré¬sident de la République,
L’actualité ces derniers temps est dominée par la découverte macabre de la fosse commune de la Ma¬luku qui s’apparente à un crime contre l’humanité ou un génocide, étant enten¬du que ce fait a été plani¬fié et exécuté dans l’objectif d’exterminer une catégorie de la population appelée « indigents ».
La démarche la plus trans¬parente avant de procéder à l’enterrement de ces soi¬ent-disant indigents, serait d’associer avant toute chose la justice, les associations des droits de l’homme, la croix rouge au lieu que le Ministre de l’Intérieur pour¬suive des justifications falla¬cieuses du genre « qu’il n’y avait pas eu fosse commune mais un enterrement collec¬tif selon la loi ».
Nous profitons de l’occasion, Excellence Monsieur le Pré¬sident de la République, ga¬rant de la constitution, de bien vouloir vous engager individuellement pour que cette loi coloniale obsolète, discriminatoire qui ne s’apparente guère à nos us et coutumes soit abrogée.
A cet effet, nous demandons qu’une enquête interna¬tionale soit diligentée pour éclairer l’opinion de cette pratique récurrente inhu¬maine pour qu’enfin les re¬sponsabilités de chacun soi¬ent établies. Pour toutes fins utiles, nous avons le devoir de dire la vérité même si elle est amère, comme cela fut la conviction profonde du Prophète Mahomet. Et nous sommes en droit de nous indigner face à l’injustice que subissent nos différents compatriotes, comme l’a dit STEPHANE HESSEL, Co- Rédacteur de la déclaration universelle des Droits de l’Homme dans son ouvrage « INDIGNEZ-VOUS ».
Nous vous remercions pour l’attention particulière qu’il vous a plu de nous accord¬er et vous prions d’agréer, Excellence Monsieur le Pré¬sident de la République, l’expression de nos hom¬mages les plus déférents et nos sentiments patriotiques.
Fait à Kinshasa, le 15 Avril 2015
Pour le RCDN,
Moïse MONI DELLA IDI
Secrétaire Général et Prési¬dent ai,
Coordonnateur de SET