Kcraescence Paulusi : " Qualifier l'action du Dr Mukwege de politique est une insulte

Mardi 12 avril 2016 - 05:16
Image

Kcraescence Paulusi : " Qualifier l'action du Dr Mukwege de politique est une insulte à l'encontre de ces femmes dont il s'est fait le porte-voix et à tous les défenseurs des droits des femmes". 
Dans cette interview accordée à lepotentielonline.com, Kcraescence Paulusi, président du collectif RD Congo/France, a réagi aux propos de Lambert Mende, ministre de la communication et des médias, qui affirmait au cours d'un point de presse , le 24 mars 2016, que " les préoccupations de l'heure du Dr Denis Mukwege sont essentiellement politiques".
Lors d'un point de presse du jeudi 24 mars 2016, le Ministre congolais de la Communication et Médias, Lambert Mende, a déclaré que " les préoccupations de l'heure du Dr Denis Mukwege sont essentiellement politiques ". Vous qui avez l'occasion de le côtoyer, pensez-vous que le médecin de l'hôpital de Panzi ait réellement des ambitions politiques?
Ces propos sont choquants, outrageux et ridicules, surtout venant d'un ministre de la République. Qualifier l’action du Dr Mukwege de politique est une insulte à l’encontre de ces femmes dont il s'est fait le porte-voix  et à tous les défenseurs des droits des femmes. Son discours est fort irrévérencieux, et manque d'amour et de compassion pour les victimes de viol et d'agressions sexuelles dans l'Est de la RD Congo.

Lambert Mende, l'homme au parcours sinueux, est à l image de ses pairs de la majorité présidentielle: Grisés, enivrés et aveuglés par le pouvoir, ils ont tous perdu le sens de l'humain. Les attaques systématiques de Lambert Mende contre le Dr Mukwege le prouvent à suffisance.

Ce ministre est simplement de mauvaise foi. C' est connu de tous, le Dr Mukwege est au service de ces femmes dont la dignité et l' humanité sont bafouées. Il n'avait pas besoin de son passage à Kinshasa pour faire de la politique. Lambert Mende devrait relire l'article 15 de la Constitution R D congolaise qui définit le rôle des pouvoirs publics en matière de l'élimination des violences sexuelles, et il se rendra vite compte que le gouvernement dans lequel il appartient ne l' a jamais appliqué. Et le Dr Mukwege doit se taire sous prétexte qu'il est médecin , continuer à réparer les femmes et fermer les yeux sur les causes de cette barbarie ? Si le Dr Mukwege s'était rangé du côté de la majorité présidentielle, Lambert Mende tiendrait-il ces propos ? Notre devoir, nous congolais,  est de lutter contre ce gangstérisme politique, car la RD Congo a besoin de dirigeants d’une grande probité morale.

Ne trouvez-vous pas que son discours critique contre le gouvernement congolais devient politique?
Tout citoyen, quel qu'il soit,  a le droit de s'exprimer librement sur la situation politique et socio-économique de son pays. La politique, en l'occurrence, concerne tout le monde sans quoi l'existence de tous est compromise. Devons-nous rester indifférents face aux assassinats et arrestations arbitraires dont sont victimes les nôtres ? Devons-nous rester insensibles lorsque nos frères sont massacrés à la machette la nuit? Quel crime a commis le père Vincent Machozy pour mériter une telle mort? Qu' ont-ils  fait les militants emprisonnés de la Lucha?  Devons-nous  rester insensibles à la misère de millions de nos compatriotes dont les enfants étudient à même le sol, d'autres trainent dans la rue, pendant que certains de nos "élus" utilisent les sociétés offshore pour cacher leurs avoirs dans des paradis fiscaux, notamment au Panama? Et quand un citoyen congolais veut s'interroger sur les origines de ces fonds et exiger une enquête, on le taxe de faire de la politique! Pourtant, c'est un droit que nul ne peut lui dénier.

Beaucoup d'observateurs estiment le rôle du Dr Denis Mukwege est plus important , plus grand, comme conscience, comme porte-parole des sans voix, des gens vulnérables. C'est plus important que d'entrer dans l'arène et dans les jeux politiques. Qu'en pensez-vous?

Devant l'immobilisme et l'inefficacité du gouvernement congolais à éradiquer cette violence, le Dr Mukwege, en tant que citoyen congolais et porte-voix de la souffrance de ces femmes violées, est libre d'exprimer ses opinions ou ses convictions. Et s'il souhaite une politique alternative afin de mettre définitivement fin à ces crimes odieux et engager le pays dans la voie du développement, c'est son droit et je crois que personne ne s'en plaindra.  Ce n'est pas de la politique "politicienne", c'est de la démocratie.

Des exemples existent à travers le monde?

Bien sûr. Les humanistes comme Nehru Gandhi, Nelson Mandela... se sont fièrement illustrés dans ce registre. Et les mots manquent pour décrire ce qu'ils nous laissent en héritage. Alain Mabanckou, l''écrivain franco-congolais, marche dans leur sillage. C'est une bonne chose pour nos frères du Congo-Brazzaville.

De par sa notoriété internationale et sa stature, n'est-il pas devenu gênant     pour les autorités congolaises?
Il est évident que le Dr Mukwege est celui qui incarne le mieux cette lutte contre la violence faite à la femme en RD Congo: sa reconnaissance internationale est indiscutable, confirmée par différents prix dont le prix Sakharov pour la liberté de penser qui lui a été décerné par le Parlement européen. Et aussi une distinction dans le gotha scientifique mondial pour ses travaux. Cette notoriété internationale est bénéfique aux victimes de viols, comme le prouve l'engouement du public pour le film " L'homme qui répare les femmes" du cinéaste Thierry Michel et la journaliste Colette Braeckman. Ceci évidemment ne peut que déplaire à un régime épinglé à plusieurs reprises par différents rapports pour violations des droits de l'homme.

Que répondez-vous à ceux qui disent que " le Dr Denis Mukwege est instrumentalisé par les occidentaux".

Je ne comprends pas cette agitation et cette soudaine phobie de l’occident, paradoxalement quelques jours après son témoignage devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies à Genève sur la situation en République Démocratique du Congo. Je signale que, avant de se tourner vers la Communauté internationale,  le Dr Mukwege avait interpellé depuis plusieurs années le gouvernement congolais sur les atrocités dont sont victimes nos femmes à l'Est du pays. Il faut souligner que l'on ne peut pas traiter  efficacement ce problème si on ne s’attaque pas à l’impunité. C’est la motivation profonde de  sa  démarche auprès des institutions internationales. De  quoi Lambert Mende a-t-il peur ?

Corollairement à sa déclaration du 24 mars 2016 : «  La guerre endémique imposée aux paisibles citoyens congolais n’avait pas pour objectif de produire  la démocratie mais des crimes. Des crimes qui perdurent jusqu’à ce jour.", le viol est en effet l’un de ces crimes qui nous est imposé par des groupes criminels qui opèrent dans l’Est depuis 1997, dont on connait  aujourd’hui les motivations et les ramifications: du RCD Goma  jusqu’ au M23  en passant par le CNDP.  Cette déclaration a d’autant plus d’importance  que son auteur fut lui-même un haut cadre de l'un de ces groupes qu’il qualifie à juste titre de criminels ( RCD Goma). Il y a donc lieu de se poser les bonnes questions sur des supposés liens qui peuvent encore exister entre les alliés d’hier… Il faudra un jour que le ministre Mende réponde aux Congolais.

Son action en faveur des femmes victimes de viol dans l'Est du pays ne le met-il pas en danger, étant donné que l'armée congolaise n'apprécie pas sa campagne internationale sur les violences en RD Congo?

Lors de la visite du Secrétaire général des Nations unies en RD Congo, le Dr Mukwege a loué l'effort et les avancées de nos FARDC et plaidé pour la prise en charge des mobilisés dont certains sont impliqués dans des viols. Nous avons les éléments de valeur dans notre armée même si beaucoup ne sont mis dans les bonnes dispositions. Et beaucoup apprécient le travail du Dr Mukwege et le félicitent à ce propos. Il faut tout de même signaler que l'échec des opérations de mixage a permis l'infiltration au sein de notre armée des inciviques qui violent et commettent encore des forfaitures au nom de la nation. Nous devons dénoncer ce fait. L' odieux amalgame auquel se livre Monsieur Mende pour nuire à la notoriété du Dr Mukwege et mettre sa vie en danger ne passera pas. Les Congolais ne sont pas dupes.

L'alternance démocratique est-elle possible cette année?
Oui, absolument. Nous sommes dans un tournant de notre histoire car les régimes successifs que nous avons connu depuis le 24 novembre 1965 sont issus, soit de coups d’état ,soit des mouvements rebelles. Et ses dirigeants veulent s’éterniser au pouvoir. Compte tenu de la situation actuelle au Burundi et au Congo- Brazzaville, nous devons faire face pour barrer la route à ces anciens seigneurs de guerre. L' enjeu est capital. Il faut donc assurer cette alternance politique cette année,  au risque de sacrifier plusieurs générations au plus grand profit d’une dictature participative.
Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France