Son oeuvre, « John of God » (Jean de Dieu, en français), qui sera présentée au grand public congolais ce mardi 9 février à 19heures à la Halle de la Gombe, a fait le tour du monde, glanant des Awards au passage durant l’année 2015 à Tenerife, New York, Madrid, Boston, Verona, etc. Selé M’Poko est actif dans le monde de l’image depuis 1994 et a 14 années d’expériences de tournage en Afrique. Dans son premier long métrage, « John of God », il montre un enchainement incroyable de quiproquos et de situations savoureuses, faisant découvrir la musique, les rires et la danse qui rythment au quotidien la vie de Kinshasa. « Le film est lumineux et positif qui fera découvrir autrement la RDC, loin des images sombres et dramatiques véhiculées par les autres films réalisés au Congo ces dernières années », a promis ce cinéaste qui rêve d’une industrie cinématographique en RDC.
Le Phare : D’où est venue l’inspiration de ce film ?
Selé Mpoko : En 2004, j’ai travaillé ici à Kinshasa avec beaucoup d’artistes musiciens, une douzaine probablement, et j’ai été marqué par les intrigues qui entourent leur univers. Avec tout ce que j’ai vécu dans le milieu musical et de la sape, je m’étais dit que c’est quelque chose qu’il faut exploiter, parce que c’est tellement rigolo. On peut créer une multitude des sous thèmes sur ce sujet…
L.P.: Qu’est-ce que vous avez voulu lancer comme message à travers cette œuvre ?
S.MP. : Je voulais que les gens rigolent, au moins une fois, en suivant un film qui vient de la RD Congo. Ceci, parce que chaque fois que je voyage à travers le monde, les gens ne parlent de notre pays qu’en mal (guerre, rébellion, maladie, tremblement de terre, etc.). J’ai voulu donner une autre image du pays, celle de joie, du rire, de la bonne humeur qui inspirera les étrangers à venir visiter ce beau pays. Je veux aussi que le Congolais lambda se retrouve dans un film…
L.P. : Pourquoi avoir créé ce personnage de « Jean de Dieu » ? Qu’incarne-t-il ?
S.MP.: J’ai fait une étude sur le narcissisme. J’ai trouvé que c’est une « maladie » très intéressante parce qu’il y a beaucoup de gens qui en souffrent. Il n’existe pas que des musiciens narcissiques, il y a aussi des Etats narcissiques, des présidents narcissistes, etc. C’est un peu un aspect de cette étude que j’ai mis en exergue dans ce film puisque je sais comment se comporte ce type de personne. Je me suis dit au moins un musicien a toutes les raisons d’être narcissique…
L.P.: Ferré Gola, Moïse Ilunga Kabengele, Jean Shaka, Diane Kamwanga, etc. ont remarquablement bien joué leurs rôles dans ce film. Comment s’est fait le recrutement des acteurs ?
S.MP. : On a fait le casting de bouche à oreille. Les gens savaient qu’il y avait un producteur qui cherchait des acteurs. On a associé des amis, notamment Stany Muke, dans cette démarche. Après une semaine de casting avec nos acteurs, tout était bon.
Néanmoins, Jean Shaka, je l’ai trouvé très vite, car chaque fois que je demandais : « Qui est le meilleur acteur du Congo ? », on me répondait : « Shaka ». Grâce à une amie, je l’ai rencontré et le premier mot sorti de sa bouche a confirmé mes appréhensions. La même chose avec Moïse, il était tellement entré dans le casting que même lorsqu’il ne disait rien, je me disais : « Voilà Jean de Dieu !». Somme toute, j’ai trouvé que la RD Congo est bourrée de talent.
L.P.: quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées durant le tournage ?
S.MP.: Un de nos acteurs Américain de nationalité, n’avait jamais mis ses pieds en Afrique auparavant. Il ne connaissait ni le français, ni le lingala, alors que Moise, Shaka et Diane sont francophones et lingalaphones. Ils jouaient tous dans certaines scènes, sans se comprendre. C’était un peu difficile, car on donnait parfois des directives à un acteur, alors que son interlocuteur ne comprend pas ce qui arrive.
Une autre partie de l’équipe technique venait de l’extérieur, et nous avions vécu les mêmes déboires sur scène, lorsque nous et les acteurs faisions une chose alors que les cameramen prenaient autre chose. Mais au fur et à mesure qu’on évoluait, nous commencions à nous comprendre à travers des gestes et tout a marché come sur des roulettes.
L.P.: quelle est votre vision pour le cinéma congolais ?
S.MP. : J’ai fait ce film pour les Congolais. Nous allons le distribuer à travers les DVD car l’Internet n’est pas encore très développé ici et tout le monde n’y a pas accès. Ainsi nous allons mettre sur le marché des DVD à un prix extrêmement abordable (2000 à 3000 FC) pour lutter contre la piraterie. Si tous les Congolais achètent, c’est en ce moment-là que va naitre l’industrie cinématographique en RDC. On n’a pas vraiment cette culture d’acheter les œuvres des artistes chez nous, alors qu’on achète une bouteille de bière entre 2 et 10 USD ! Nous souhaitons seulement que les consommateurs achètent nos produits et nous aurons une grande industrie qui va concurrencer le monde international. Nos acteurs sont très bons, les histoires à raconter sont très riches, il n’y a pas de raison que nous ne soyons pas les meilleurs dans le 7ème art ! Le cinéma au Nigéria pèse 3 milliards USD, nous sommes capables de propulser le nôtre aussi à un niveau très supérieur !
Propos recueillis par Tshieke Bukasa