La sapologie : un culte rendu aux grands couturiers

Lundi 9 novembre 2015 - 06:31

A Kinshasa, la sapologie est, avant tout, une religion pour les jeunes adeptes qui se conforment aux exigences de la haute couture à tout prix et dans le temps. Au-delà de leurs activités journalières, ils ont du goût pour des fringues étiquetées par de grands couturiers mondialement connus.

Des marques de grands couturiers italiens, français, japonais…se disputent la vedette sur les artères de Kinshasa. Un jeune dit « branché » ou « sapeur » doit tenir compte des marques de couturiers en vogue à l’image des stars congolaises de la musique, réputées pour leur engouement très prononcé pour la sape (ndlr : société des ambianceurs et des personnes élégantes). Dans la petite valise d’un sapeur, rien n’est classé au hasard : bijoux, lunettes noires, pantalons, chaussures, vestes, manteaux et même des slips…se réclament d’un créateur de renom. La sapologie a sa terre promise Kinshasa où l’habillement est teinté d’une certaine extravagance à outrance, pour ceux qui se confirment de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes. La capitale voisine Brazzaville en République du Congo réclame, elle aussi, sa place dans l’histoire de la sape.

Sapeur de 7 à 77 ans…dans l’illusion Kinshasa, c’est une des villes au monde où certains jeunes et vieux dits « branchés » aiment s’afficher avec des vêtements sans enlever les étiquettes d’emballages. Shegues, certains « excellences » (ndlr : officiels), intellectuels et autres prostituées pour se prévaloir qu’ils sont dans la mode et surtout à la page, tous ou presque laissent voir leurs « griffes ».

Certains laissent balancer l’étiquette des manches de leurs costards tout arpentant les artères de la ville de Kinshasa. Derrière leurs têtes, c’est l’illusion d’appartenir à une certaine classe nantie de la société congolaise. Et, cela ne suffit pas, il laisse traîner à ses pieds sa valise Louis Witton contenant du reste, la richesse de sa garde robe. Au moindre accrochage avec un autre « exhibitionniste », ce sapeur déploie son armada des vêtements et autres chaussures coûteux et griffés par des créateurs japonais et italiens. Il lève d’un coup, un pied de ses chaussures de tennis d’origine italienne Prada, à son concurrent de circonstance. Son adversaire fait autant, cette fois, c’est une chaussure Lacoste.

Pour d’autres, certaines femmes en l’occurrence osent même abandonner l’étiquette de leur string, Calvin Klein, se balancer au niveau de la ceinture de leur pantalon jeans à la taille basse dit « fashion ». Pour cette jeune fille rencontrée dans une terrasse au quartier Matonge dans la commune de Kalamu, c’est une manière pour elle de s’affirmer qu’elle est dans le temps donc « in ».

Et que les fringues qu’elle a enfilées, sont nouvellement sorties des sachets d’emballages, pimpants neufs. « Ba petits na ngai bozomona Nkewa toujours…ba taureau bakonda… » (Mes petits…je suis toujours dans le temps, les jaloux vont maigrir…), martèle-t-elle à quiconque veut l’écouter.

Cette mode d’expression en public a pris de l’ampleur au point que sous un soleil torride, certains jeunes endossent les manteaux en Versace. « Moto naza toujours na top, je suis l’homme de quatre saisons…mikili pamba pamba, botala bilele » (ndlr : « mon pote, je suis toujours au top, je suis habitué au quatre saisons…je fais l’Europe tout le temps, regardez mes vêtements », s’écrie ce jeune sapeur sur l’avenue Kimbondo dans la commune de Bandalungwa. A grand pas, ces cinq sapeurs s’adonnent à un exhibitionnisme digne d’un défilé de mode. Ce qui est vrai, c’est que depuis qu’ils sont nés…ils ne sont jamais monté à bord d’un avion, ni sorti de Kinshasa.

Le revers de la médaille de la « sapologie »

Ces adeptes de la sape, ou encore de la sapologie (néologisme empreinte à l’artiste musicien Papa Wemba) devraient savoir que l’on s’habille pour se couvrir le corps. C’est vrai qu’en s’habillant, l’on a le souci de se présenter dans son meilleur jour, bref d’être élégant. Toutefois, cette élégance ne tient nécessairement pas compte du coût financier, ni de la griffe du vêtement, mais plutôt de la propreté, de la concordance de couleur, de la prestance personnelle d’un individu, etc.

Or, de nos jours, la sapologie, une des expressions de la « kinoiserie » révèle une autre réalité de l’individu sapeur à l’encontre des bonnes mœurs. La sapologie est un autre son de cloche aux notions de la mode, même le couturier.  A Kinshasa, certaines personnes de 7 à 77 ans s’adonnent un peu trop à la mode, au point de frôler le ridicule au nom de la sapologie.

La leçon d’un couturier abordé par la rédaction nous révèle qu’on peut s’habiller des « griffes » de grands couturiers mondialement connus mais en s’affichant dans une tenue correcte. Et derrière la sapologie se cache un autre souci de couvrir sa misère en créant l’illusion d’une vie meilleure. Beaucoup de sapeurs sont issues des familles misérables mais le paradoxe, il n’hésite pas de se chausser en Weston, qui vaut au plus bas 500 euros.

Dans certains quartiers comme Yolo, Matonge, camp Kauka dans la commune de Kalamu, et un peu partout à Kinshasa, des fêtes et des cérémonies funéraires constituent désormais de lieux bien indiqués pour se rivaliser de grandes marques de couturiers Masatomo, J3, Versace en terme de grandes rivalités et démonstrations entre groupes de jeunes.

Paradoxe, un de ces jeunes sapeurs, fils d’un fonctionnaire de l’ex-Otraco à la retraite au camp Kauka dans la commune de Kalamu, frime avec une veste excessivement chère, griffée « Masatomo » dont les manches dominent quelque peu ses mains. Il fredonne un air de « Viva la musica ». Il vient, à peine, de détourner, pour se vêtir, une poignée d’Euros envoyés par sa grande sœur, habitant Bruxelles pour épauler la famille à Kinshasa.

A voir son petit déjeuner de fortune est constitué de deux petits paquets de biscuits et d’un verre d’eau, laissant trimer le reste de la famille pour une veste griffée.

Cette fois dans la commune de Kinshasa, une descente dans une d’une étudiante en communication est assez révélatrice. Elle a du goût et elle se dit branchée. Les cintres de la jeune fille sont couverts d’une collection des jeans et t-shirt de marque levi’s, Calvin Klein, Ralph Laurent, Fubu – For us. Elle-même est vêtue pour l’occasion d’une robe moulante qui laisse échapper de sa fente un quartier de cuisse imposant. Elle se vante d’être toujours dans le temps. Sauf qu’à la différence de ces condisciples, elle est soutenue par son fiancé qui travaille dans un organisme international.

Elle se procure ses vêtements dans une célèbre boutique située au rond-point Forescom à Gombe, à l’exemple de son récent pantalon jeans Versace, pas moins de 100 Usd. En sortant de sa chambre, elle nous rassure qu’elle est très méticuleuse en matière d’habillement qu’elle ne peut rien envier d’une star de la musique congolaise.

Saint Hervé M’Buy