KINSHASA Un boom immobilier sans logements sociaux !

Lundi 13 octobre 2014 - 09:18

Dans la capitale congolaise Kinshasa, l’immobilier connait un boom sans précédent. Gratte-ciels d’habitation ou de bureaux, villas cossues, hôtels, guest-house sortent de terre à un rythme effréné. Mais les loyers et les coûts d’acquisition de logement restent cependant largement au-dessus du pouvoir d’achat du commun des Congolais. Un vrai cauchemar pour les locataires.

Depuis quelques années, de plus en plus d’immeubles sortent de terre un peu partout à Kinshasa, donnant naissance à de beaux bâtiments de plusieurs niveaux. Au centre des affaires, à la Gombe, en passant par des communes phares comme Ngaliema, Limete, Lemba, Mont-Ngafula, Barumbu, Kintambo, Kalamu, Bandalungwa, Kasa-Vubu et Masina, le nombre d’immeubles en cours de construction ou déjà achevés est impressionnant et change le visage de la capitale congolaise. Ce boom immobilier haut de gamme est l’œuvre de sociétés étrangères de construction mais aussi de quelques Congolais nantis notamment les Nande, commerçants-nés, que d’aucuns considèrent ici comme les Libanais de la RD Congo. Faute d’espace, ils rachètent des parcelles aux moins riches pour construire, en hauteur, des complexes à usage commercial. Ce sont, pour la plupart, des hôtels, flats, restaurants, salles de fêtes ou de conférence, magasins, offerts à un prix qui n’est pas à la portée de toutes les bourses.

ABSENCE DE LOGEMENTS SOCIAUX
Malgré ce boom immobilier, la capitale congolaise reste en proie à une crise du logement, due à l’absence de logements sociaux. Selon les statistiques inquiétantes du ministère de l’Urbanisme et Habitat, l’Etat congolais devrait construire au moins 500.000 habitations pour loger la population de Kinshasa dans les dix prochaines années. Le Gouvernement central ne prévoit pour la capitale que 4.500 logements, en cours de construction dans les sites de Mitendi et Kinkole. Près de 500 habitations sont également en cours de construction à Bandalungwa (Kin Oasis) à l’initiative du président Kabila. Depuis 2003, le Gouvernement annonce plusieurs projets de logements sociaux, cependant aucun de ces projets ne s’est concrétisé ou presque.
L’offre de logement à Kinshasa va de la petite chambre individuelle à la villa de prestige, en passant par l’appartement locatif et la maison individuelle. " Dans les années 60, la situation sur le marché du logement en RDC était calme. Mais par la suite, les augmentations des revenus, les mutations démographiques, les puissantes vagues d’immigration de la population rurale pour rejoindre les centres urbains, ont considérablement augmenté la demande", explique un vieux fonctionnaire à la commune de Lemba. Cependant, l’offre n’a pas pu suivre le rythme. La pression démographique est grande surtout à Kinshasa dont la population, actuellement estimée à 10 millions devrait passer à 12 millions d’habitants selon les projections pour 2015.

LE GRAND BOOM DES PRIX
Les logements " sociaux " en cours de construction dans l’enceinte de la Fikin ou à Bandalungwa ne le sont que de noms car hors de prix pour les Congolais moins nantis. A la Fikin par exemple, les acquéreurs potentiels devront verser au moins 217. 000 dollars US pour un appartement de deux chambres, un salon, plus la salle de bains. Un montant que beaucoup jugent excessif pour des logements sociaux.
Il faut débourser davantage pour acquérir une villa à Kin Oasis, à Bandalungwa. Ici, une villa indépendante coûte 870.000 dollars, une villa jumelée 840.000 dollars. Un appartement de 2 chambres est proposé à 220.000 dollars tandis que celui de 3 chambres l’est à 260.000 dollars.
Dans les quartiers chics comme dans les quartiers précaires de Kinshasa, c’est un euphémisme que de dire que les loyers connaissent une inflation vertigineuse. Ici, il n’y a pas de loyer de référence. " Tout dépend de la localisation, du standing ", explique Babin Ifufa, courtier à l’agence immobilière " Immo Espoir ". La location d’un studio qui coûtait entre 25 et 35 dollars au quartier Matonge en 2011 a doublé en 3 ans. Une maison de trois pièces à la Gombe, le quartier des affaires, est passée de 300 à 600 dollars, voire plus. " Si une chambre d’hôtel de luxe à la cité coûte entre 30 et 40 dollars la nuitée, en ville, elle se négocie entre 100 et 250 dollars tandis qu’un appartement de haut standing au centre-ville se loue entre 2000 et 5000 dollars par mois ", explique le courtier. Celui-ci épingle aussi la boulimie des propriétaires qui n’a cessé d’augmenter depuis l’arrivée à Kinshasa, en 1999, de la Monuc (devenue Monusco, Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo) qui a raflé les habitations disponibles dans la ville pour loger ses agents.
La demande croissante émanant des cadres d’entreprises étrangères, des diplomates et des employés d’Ong a aussi contribué à l’augmentation sauvage du prix de loyer. Parallèlement, ceux qui ne peuvent plus se permettre de vivre dans leur quartier devenu pour la circonstance trop cher, sont allés vers la périphérie. Cette inflation des loyers a suscité des vocations. Des agences immobilières se sont multipliées dans différents quartiers de Kinshasa. Et les intermédiaires, véreux ou pas, prolifèrent. Il n’est pas rare qu’un locataire soit obligé de payer 10 mois voire 12 mois de garantie locative pour être sûr d’obtenir le logement qu’il convoite. " Imaginez-vous qu’une maison revienne à 300 dollars par mois, et que vous devez débourser 3000 dollars de garantie plus un mois de commission. Au total il vous faut 3 300 dollars ! ", s’exclame un couple à la recherche d’une maison à louer à Limete. Alors que la loi fixe la garantie locative à 3 mois pour l’usage résidentiel mais les bailleurs passent outre la mesure. On a l’impression que l’Etat a livré en pâture ses propres habitants aux propriétaires des maisons. Le ministère de l’Urbanisme et Habitat qui, à travers un arrêté en 2012, avait fait obligation à tout propriétaire de maison de ne réclamer que trois mois de caution, peine à mettre de l’ordre. Ce texte est quotidiennement foulé au pied par les bailleurs des maisons. Un conseiller au ministère provincial des Affaires foncières et Habitat estime que " la responsabilité incombe plus à ceux qui cherchent les maisons. Si tout le monde refuse de payer ces 10 mois de caution, les propriétaires des maisons se conformeront à la loi ". Didier KEBONGO