Explosif : L’Onu cloue le M23 !

Lundi 13 octobre 2014 - 11:55

Dans un rapport publié jeudi, 9 octobre 2014,  les Nations Unies lancent un appel afin que justice soit rendue à l’égard des crimes commis par  M23  lorsqu’il exerçait un contrôle effectif sur des parties des territoires de la province du Nord-Kivu entre les mois d’avril 2012 et novembre 2013. Des enquêtes du Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme, BCNUDH en sigle,  RDC  ont, en effet, révélé qu’au cours de cette période, de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire – qui pourraient constituer des crimes internationaux ainsi que des crimes selon le Code pénal congolais - ont été commises par le M23 dans la province du Nord-Kivu.

« Je félicite les autorités congolaises pour les poursuites déjà engagées à l’encontre de certains membres du M23 et je les encourage à poursuivre leurs efforts afin que les responsables des graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire répondent de leurs actes devant la justice dans les meilleurs délais. Il est fondamental que justice soit rendue aux victimes et que cessent enfin les cycles d’impunité qui minent les efforts en faveur de la paix en RDC depuis trop longtemps », a déclaré aujourd’hui le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Zeid Ra'ad Al Hussein.

Plus de 116 personnes y ont été victimes d’atteinte au droit à la vie, 351 d’atteinte au droit à l’intégrité physique, dont 161 de viol, 296 d’atteinte au droit à la liberté et sécurité de la personne, notamment d’enlèvement et de recrutement forcé et 18 cas de travail forcé et 50 cas d’atteinte au droit à la propriété ont également été commis par des éléments du M23, précise ce rapport. Le nombre total de victimes pourrait être beaucoup plus élevé dans la mesure où le personnel du BCNUDH a fait face à diverses difficultés dans le cadre de ses enquêtes sur ces violations des droits de l’homme.

Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en RDC, Martin Kobler, a également insisté pour que les auteurs de ces violations des droits de l’homme répondent de leurs actes devant la justice, et a pris note de la nouvelle loi d’amnistie en RDC qui permettra à de nombreux membres du M23 de bénéficier d’une amnistie et de retourner en RDC. « J’appelle les autorités congolaises à bien se préparer afin de recevoir dès que possible dans les meilleurs conditions les ex-combattants du M23 qui pourraient bénéficier de la loi d’amnistie et à faire une application stricte de cette loi selon laquelle les membres du M23 qui se sont rendus coupables de crimes graves tels que le génocide, les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre ne pourront pas être amnistiés ».

Conformément à son mandat, le personnel du BCNUDH a mené des enquêtes sur les violations des droits de l’homme commises dans la province du Nord-Kivu en RDC par des éléments du M23, notamment dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo, dont des parties ont été sous le contrôle effectif des éléments de ce mouvement entre les mois d’avril 2012 et novembre 2013.

Pendant la période d’occupation de ces zones, le personnel du BCNUDH a fait face à diverses difficultés, notamment sécuritaires, pour mener ses enquêtes, mais, en novembre 2013, après la défaite du M23 suite aux combats avec les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) appuyées par la MONUSCO, y compris sa Brigade d’Intervention, des équipes d’enquête ont pu être déployées dans les zones nouvellement libérées et y ont interrogé plus de 160 victimes et témoins de violations des droits de l’homme commises par le M23.

Le rapport fait état de plus d’une centaine de civils qui ont été tués par le M23, mais également de pillages et de viols commis par ces derniers, notamment à l’intérieur et à proximité du camp de déplacés de Mugunga et dans le camp Katindo. De nombreux civils, y compris des enfants, ont été également enrôlés de force dans les rangs du M23 et ont subi une formation militaire et idéologique dans les bases militaires établies par le M23, où certains y ont même subi des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Un système de taxes obligatoires à payer à chaque barrage routier a été mis en place par le M23, en particulier à Munigi et Rumangabo. Les enquêtes effectuées sur les allégations de violations des droits de l’homme ont révélé que certaines victimes avaient été ciblées par le M23 pour leur collaboration présumée avec d’autres groupes armés ou les militaires des FARDC, des autorités locales, des responsables religieux, ou pour avoir résisté à leur recrutement forcé par le M23.

Au total, 13 mandats d’arrêt ont été émis en 2013 par les autorités congolaises à l’encontre de membres du M23, dont quatre mandats internationaux contre des dirigeants du M23 qui se trouveraient au Rwanda, selon lesquels ils sont notamment accusés d’avoir commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. A ce jour, ces membres du M23 n’ont toujours pas été traduits en justice pour les crimes dont ils sont accusés malgré les engagements des signataires de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération dans la région adopté en février 2014 de ne pas abriter, ni apporter protection à toute personne accusée de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide ou crimes d’agression, ou à toute personne visée par le système de sanctions des Nations Unies, ainsi que de faciliter l’administration de la justice à travers la coopération judiciaire dans la région et de mettre fin à l’impunité.

Découvrez les détails dans le Rapport, ci-dessous :

RAPPORT DU BUREAU CONJOINT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME SUR LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME COMMISES PAR LE MOUVEMENT DU 23 MARS (M23) DANS LA PROVINCE DU NORD-KIVU AVRIL 2012 - NOVEMBRE 2013

I. Introduction

1. Ce rapport du Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme (BCNUDH) en République démocratique du Congo (RDC) porte sur les violations des droits de l’homme commises par le Mouvement du 23 Mars (M23) dans la province du Nord-Kivu, notamment dans les parties des territoires de Nyiragongo et de Rutshuru qu’il a occupées entre la mi-avril 2012 et le 4 novembre 20131. Au cours de cette période, les membres du M23 ont commis dans ces régions des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, dont des atteintes au droit à la vie, des atteintes au droit à l’intégrité physique, y compris des actes de violence sexuelle, des atteintes au droit à la liberté et à la sécurité de la personne et des atteintes au droit à la propriété. Ces violations pourraient constituer des crimes internationaux ainsi que des crimes au sens du droit pénal congolais compte tenu de leur nature et du contexte dans lequel elles ont été commises.

2. Le présent rapport fait suite au rapport publié par le BCNUDH le 8 mai 20132 sur les violations des droits de l’homme perpétrées par des militaires des forces armées congolaises et des membres du M23 à Goma et à Sake dans la province du Nord-Kivu ainsi qu’à Minova et dans ses environs dans la province du Sud-Kivu, entre le 15 novembre et le 2 décembre 2012.

II. Contexte

3. Créé à la mi-avril 2012 après une mutinerie d’officiers issus de l’intégration des combattants du Congrès national pour la défense du Peuple (CNDP) dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), le M23 est apparu sur la scène publique le 6 mai 2012 par le biais d’un communiqué de presse3 signé par le Lieutenant-colonel Vianney Kazarama, un ancien porte-parole militaire de l’Opération Amani Leo4 au Nord-Kivu. D’après ce communiqué, la création de ce mouvement armé aurait été décidée par le Haut-Commandement militaire de l’Armée nationale congolaise (ANC), la branche armée du CNDP, dans le but de revendiquer l’application des dispositions contenues dans l’Accord politique du 23 mars 20095. Il est à noter que le M23 était composé de plusieurs officiers des FARDC ayant fait défection, dont le Général Bosco Ntaganda6 et le Colonel Ruzandiza alias Sultani Makenga, ex-

- Le 5 novembre 2013, le M23 a annoncé dans une lettre officielle adressée au gouvernement congolais qu’il déposait les armes.

- Voir Rapport du Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme sur les violations des droits de l’homme perpétrées par des militaires des forces armées congolaises et des combattants du M23 à Goma et à Sake, province du Nord-Kivu, ainsi qu’à Minova et dans ses environs, province du Sud-Kivu, entre le 15 novembre et le 2 décembre 2012, publié le 8 mai 2013 .

- Le communiqué de presse daté du 6 mai 2012 et signé par le Lt Colonel Vianney Kazarama, porte-parole du Haut-Commandement militaire de l’ANC/CNDP, porte le numéro 011/ANC/CNDP/2012 et a comme entête « Congrès National pour la Défense du peuple, Armée Nationale Congolaise, ANC//CNDP ».

- L’Opération Amani Leo est une opération militaire lancée en janvier 2010 contre des groupes armés dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Elle était dirigée par les FARDC avec le soutien de la MONUSCO.

- Voir l’Accord de paix entre le Gouvernement de la RDC et le Congrès national pour la défense du Peuple (CNDP) signé à Goma le 23 mars 2009.

- Bosco Ntaganda, présumé ancien chef adjoint de l’état-major général responsable des opérations militaires des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), est actuellement en détention à la Cour pénale internationale (CPI) après s’être livré volontairement, le 18 mars 2013, à l'Ambassade des États-Unis à Kigali, au Rwanda. Le 9 juin 2014, la Chambre préliminaire II a confirmé à l'unanimité les charges portées contre lui, à savoir 13 chefs de crime de guerre (meurtre et tentative de meurtre; attaque contre des civils; viol; esclavage sexuel de civils; pillage; déplacement de civils; attaque contre des biens protégés; destruction des biens de l'ennemi et viol, esclavage sexuel, enrôlement et conscription d'enfants soldats âgés de moins de 15 ans et leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités) et cinq chefs de crime contre l'humanité (meurtre et tentative de meurtre; viol; esclavage sexuel; persécution; transfert forcé de populations) qui auraient été perpétrés entre 2002 et 2003 dans la district de l'Ituri, province Orientale.

Commandant en second de l’Opération Amani Leo au Sud-Kivu, qui a assuré la fonction de chef d’Etat-major du M23 pendant la période d’occupation de certains territoires par le mouvement.

4. A la mi-avril 2012, le M23 a pris le contrôle de plusieurs localités du territoire de Rutshuru, notamment Runyoni, Tshanzu, Mbuzi et Bugina. A partir du mois de novembre 2012, le M23 a assuré également le contrôle de Kibumba à une trentaine de kilomètres au nord de Goma et d’une grande partie du territoire de Nyiragongo. La ville de Goma et ses environs, y compris la ville de Sake, furent occupés par le M23 du 20 novembre au 1er décembre 2012. Le 5 novembre 2013, le M23 a annoncé sa défaite après de violents combats avec les FARDC appuyées par la MONUSCO, y compris sa Brigade d’intervention7.

III. Méthodologie et difficultés rencontrées

5. Conformément à son mandat tel que défini par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies8, le BCNUDH assure l’observation de la situation des droits de l’homme en RDC, notamment dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo de la province du Nord-Kivu, dont des parties ont été occupées pendant plusieurs mois par le M23.

6. Entre les mois d’avril 2012 et d’octobre 2013, le personnel du BCNUDH n’a pas été en mesure de mener des enquêtes approfondies sur les allégations de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par le M23 dans les zones contrôlées par ce dernier en raison de contraintes sécuritaires et d’accessibilité aux parties des territoires occupées et de risques de représailles pour les victimes et témoins de ces violations. Néanmoins, pendant toute cette période, le personnel du BCNUDH a pu collecter des informations sur des allégations de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par le M23, notamment grâce à des entretiens avec des victimes et témoins de ces violations et d’autres sources en dehors des zones contrôlées.

7. Dès le début du mois de novembre 2013, le personnel du BCNUDH a pu avoir accès aux parties des territoires de Rutshuru et de Nyiragongo qui avaient été sous le contrôle du M23 et y a mené, en collaboration avec d’autres composantes de la MONUSCO, telles que les sections Protection de l’Enfant et des Affaires civiles, cinq missions9 afin d’enquêter sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui auraient été commises par le M23 entre avril 2012 et novembre 2013. Le personnel du BCNUDH a ainsi pu procéder à une vérification des allégations de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par le M23 dont il avait été informé. Au cours de ces missions, le personnel du BCNUDH a interviewé plus de 160 personnes, y compris des victimes et des témoins des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par le M23.

- La Brigade d’intervention (BI) de la MONUSCO a été déployée, conformément à la Résolution 2098 du Conseil de sécurité des Nations Unies (voir paragraphe 9) adoptée le 28 mars 2013, à l’est de la RDC afin de neutraliser les groupes armés. Elle est composée d’un contingent de 3.000 militaires de nationalité sud-africaine, tanzanienne et malawite.

- Voir paragraphe 15 a) de la Résolution 2098 (mars 2013) et paragraphe 5 d) de la Résolution 2147 (mars 2014).

- Ces missions ont eu lieu le 4 novembre 2013, du 6 au 7 novembre 2013, du 11 au 13 novembre 2013, du 18 au 22 novembre 2013 et du 25 au 27 novembre 2013.

IV. Bref aperçu de l’organisation du M23

8. Le M23 a été un mouvement politico-militaire qui a été codirigé par un président et un général de la branche armée. Dans les zones dont il avait pris le contrôle, le M23 a mis en place, dès le 19 août 2012, une structure administrative et un cabinet politique. Ce cabinet avait comme responsabilité la politique globale du mouvement, y compris ses orientations militaires, et était composé de 25 membres, dont un président, un chef militaire, un secrétaire exécutif et des chefs de départements11. Le rôle du cabinet était de gérer la population dans les zones sous son contrôle. Le 1er mai 2013, le M23 a nommé des administrateurs pour les territoires de Rutshuru et de Nyiragongo. Il y a lieu de souligner que la direction politique du M23 elle-même avait annoncé la fin des hostilités sur le terrain dans un communiqué officiel signé par son président le 5 novembre 2013. Dans ce communiqué, la direction du M23 a indiqué à l’opinion nationale et internationale la cessation de la rébellion et a prié toutes les unités de l’armée sous son commandement d’intégrer le processus de « désarmement, démobilisation et de réinsertion sociale dont les modalités sont à convenir avec le Gouvernement de la République démocratique du Congo »12.

9. Dans les parties des territoires qui ont été sous le contrôle du M23, il est à noter qu’il n’y a pas eu de cours et tribunaux, mais un parquet localisé à Rutshuru dirigé par un procureur siégeant principalement à Bunagana et parfois à Rutshuru-centre nommé par l’autorité politico-administrative du M23. Un département ministériel en charge de la justice aurait également été créé au sein du M23, ainsi qu’un département chargé de la sécurité comprenant un service de renseignements. Le M23 aurait également mis en place une police dont la structure aurait été articulée autour d’une direction générale comprenant cinq divisions. Ces dernières auraient été constituées de quatre bataillons. Une formation d’officiers de police judiciaire (OPJ) aurait été organisée du 14 juin au 16 août 2013 à la base militaire de Rumangabo et apparemment destinée à 66 futurs OPJ (civils et militaires). Elle aurait été dispensée par le procureur du M23 et des brevets auraient été remis aux participants avant leur déploiement sur le terrain. Selon les informations à la disposition du BCNUDH, il s’agit de la seule formation de ce type qui aurait été organisée par le M23.

10. Au total, en 2013, 13 mandats d’arrêt ont été émis par l’Auditeur général des FARDC contre des membres du M23, dont quatre mandats internationaux contre des dirigeants du M23. Ces mandats internationaux ont été transmis par voie diplomatique au gouvernement rwandais dans la mesure où les dirigeants du M23 visés se trouveraient au Rwanda. Selon ces mandats d’arrêt, ces membres du M23 sont poursuivis pour des crimes contre l’humanité, crimes de guerre, et constitution d’un mouvement insurrectionnel. A ce jour, le BCNUDH n’a pas connaissance de la suite donnée à ces mandats d’arrêt.

- Les informations incluses dans cette section du rapport se basent sur divers témoignages concordants recueillis par le BCNUDH.

- La composition de ce cabinet politique montre à quel point les ailes politique et militaire étaient imbriquées et agissaient conjointement.

-  Le communiqué de presse signé le 5 novembre 2013 par le Président du M23, en l’occurrence Bertrand Bisimwa, annonce la fin de la rébellion à partir de cette date et l’option du mouvement de « poursuivre, par des moyens purement politiques, la recherche des solutions aux causes profondes qui ont présidé à sa création ».

V. Cadre légal

11. Les droits de l’homme mentionnés dans le présent rapport sont protégés par plusieurs instruments internationaux ratifiés par la RDC13. Ils sont également protégés par la Déclaration universelle des droits de l’homme14, dont plusieurs dispositions sont considérées comme ayant qualité de droit international coutumier. Conformément à ce cadre juridique, l’État congolais est tenu de respecter ces normes relatives aux droits de l’homme, de prendre les mesures appropriées et d’exercer la diligence nécessaire afin de prévenir et de sanctionner les violations de ces droits, qu’elles soient commises par ses forces de sécurité ou par des acteurs non étatiques. Le M23 en tant que groupe armé non étatique, lorsqu’il avait un contrôle effectif de parties données des territoires de Rutshuru et de Nyiragongo, a constitué une autorité « de facto ». Dès lors, sa responsabilité pourrait être engagée pour des violations du droit international des droits de l’homme.

12. Le droit international humanitaire applicable aux conflits armés non internationaux lie toutes les parties impliquées dans le conflit, notamment les acteurs non étatiques tels que le M23. Dès lors, toutes les parties au conflit sont, en effet, tenues de respecter le droit international humanitaire consacré à l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et dans le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève relatives à la protection des victimes des conflits armés non internationaux du 8 juin 1977, ainsi que le droit international coutumier, qui garantit la protection des personnes qui ne participent pas ou plus directement aux hostilités, et interdit notamment le travail forcé non rémunéré ou abusif et le pillage.

13. Certaines des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire mentionnées dans ce rapport pourraient, en fonction des circonstances, constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité au sens des articles 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), qui a été ratifié par la RDC le 30 mars 200215. Certaines violations des droits de l’homme exposées dans ce rapport peuvent être également considérées comme des crimes selon le droit pénal congolais, tels que le meurtre, le vol, l’enlèvement, le viol, et d’autres formes de violence sexuelle16, tous passibles d’une peine d’emprisonnement. Il appartient à la justice militaire congolaise d’enquêter sur ces crimes dans la mesure où elle est compétente pour

- Il s’agit notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui est entré en vigueur le 23 mars 1976, et qui garantit le droit à la vie (article 6) et interdit le recours à la torture et aux peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7) ainsi que les arrestations et détentions arbitraires et/ou illégales (article 9) et les travaux forcés (article 8(3)), de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui a été adoptée à Nairobi le 27 juin 1981 et qui reconnaît le respect au droit à la vie et à l’intégrité de la personne (articles 4 et 5) ainsi que le droit à la propriété (article 14), et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui est entrée en vigueur le 26 juin 1987. La RDC est également partie à plusieurs autres instruments de protection des droits de l’homme comme la Convention sur les droits de l’Enfant, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, entré en vigueur le 3 janvier 1976, la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, entrée en vigueur le 3 septembre 1981, le Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, entré en vigueur le 12 février 2002, et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, entrée en vigueur le 4 janvier 1969.

- La Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 reconnaît expressément le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne (article 3) ainsi que le droit à la propriété (article 17). Elle réprime également la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 5).

- Aux termes de l’article 215 de la Constitution de la RDC de 2006, le Statut de Rome fait partie intégrante du droit congolais.

- Les autres formes de violence sexuelle incluent l’attentat à la pudeur, le harcèlement sexuel, l’esclavage sexuel, le mariage forcé, la prostitution forcée, la mutilation sexuelle et la grossesse forcée.

Connaître de tous les crimes commis par des membres des forces armées et des groupes armés

-sur le territoire congolais. Il est à noter que de nombreux membres du M23 pourraient bénéficier de la loi d’amnistie18 promulguée par le chef de l’Etat, le 11 février 2014, pour des faits insurrectionnels, faits de guerre ou des infractions politiques qu’ils auraient commis, mais ne pourraient pas en bénéficier pour d’autres infractions énumérées dans ladite loi, dont les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

VI. Violations des droits de l’homme

14. A la suite des diverses enquêtes qu’il a menées depuis le mois d’avril 2012, le BCNUDH est en mesure de confirmer qu’entre avril 2012 et novembre 2013, des membres du M23 ont commis de nombreuses violations des droits de l’homme dont des atteintes au droit à la vie à l’encontre de 116 personnes, des atteintes au droit à l’intégrité physique à l’encontre de 351 personnes, dont 161 victimes de viol, des atteintes au droit à la liberté et à la sécurité de la personne à l’encontre de 296 personnes, dont 18 de travaux forcés, et 50 atteintes au droit à la propriété. Il convient de noter que le nombre réel de violations des droits de l’homme pourrait être beaucoup plus élevé par rapport à celui repris dans le présent rapport. Il existe d’ailleurs d’autres rapports fiables qui font état d’autres violations graves du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme ainsi que d’activités criminelles commises par des membres du M23 durant leur occupation des parties de territoires de Nyiragongo et de Rutshuru entre avril 2012 et novembre 2013, et notamment des exécutions sommaires, des recrutements d’enfants et du trafic illégal de minerais.19

6.1. Atteintes au droit à la vie

15. Comme indiqué ci-dessus, le BCNUDH a enregistré 116 victimes d’atteintes au droit à la vie attribuées à des membres du M23 entre le début du mois de mai 2012 et le début du mois de novembre 2013.

16. Plusieurs autorités locales ont été ciblées par le M23, notamment pour avoir refusé de collaborer avec les éléments de ce groupe armé. Par exemple, le 5 septembre 2012, le chef de localité de Rumangabo dans le territoire de Rutshuru a été tué par balle à son domicile par des membres du M23 qui auraient agi sous le commandement d’un ex-chef de poste d’encadrement administratif de Rugari, territoire de Rutshuru, qui avait rejoint le M23. Ce dernier l’aurait notamment accusé de collaborer avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et les FARDC. Il est à noter qu’il avait été victime d’un premier enlèvement du 18 juillet au 14 août 2012 par les membres du M23, et avait alors été soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants avant son exécution en septembre 2012.

17. Des membres du M23 ont en outre ciblé des responsables religieux. A titre d’exemple, le 28 septembre 2012, un pasteur a été tué par balle à son domicile dans la localité de Tanda en territoire de Rutshuru, par un agent de la police du M23 alors que ce dernier, accompagné d’un

- Article 156 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006.

- Loi n° 14/006 du 11 février 2014 portant amnistie pour faits insurrectionnels, faits de guerre et infractions politiques.

- Voir Rapport du Groupe d’experts, S/2012/843, 14 novembre 2012, qui indique que, dans certains cas, le M23 a tué des enfants qui essayaient de se soustraire à leur recrutement : « Dans deux cas, des enfants soldats ont vu d’autres enfants se faire tuer ou brûler vifs après avoir tenté de s’échapper » (para.156 du rapport).

autre agent de la police du M23, aurait tenté de lui voler de l’argent. Le 10 février 2013, des membres du M23 ont aussi tué un pasteur de l’église du réveil « Nzambe Malamu », qui était également un commerçant, à son domicile situé au quartier Kiringa (à un kilomètre à l’est de Rutshuru-centre) dans le groupement de Bukoma, en territoire de Rutshuru. La victime a été blessée mortellement et sa maison pillée par des membres du M23.

18. Plusieurs atteintes au droit à la vie par le M23 ont été commises à l’occasion de pillages, notamment lorsque les victimes auraient tenté de résister. A titre d’exemple, le 2 novembre 2012, un homme a été tué par balle à son domicile à Kiwanja, territoire de Rutshuru, par des hommes armés en tenue militaire appartenant au M23, alors qu’il aurait tenté de résister au pillage de ses biens. Le M23 a aussi procédé à l’exécution sommaire de civils qui auraient refusé d’être recrutés au sein du groupe. Ainsi, entre le 5 et le 7 juillet 2012, deux hommes ont été tués par des membres du M23 dans la localité de Chengerero, territoire de Rutshuru, pour s’être opposés à leur recrutement forcé. Par ailleurs, le 29 mai 2013, à Kiwanja (à environ 75 kilomètres au nord de Goma), dans la collectivité Bwisha, territoire de Rutshuru, un homme a été tué par balle par des membres du M23 alors qu’il tentait de fuir après avoir été réquisitionné pour exécuter des travaux forcés dans leurs positions.

19. Certains civils ont été tués par des éclats d’obus tirés par le M23 dans des zones résidentielles lors de combats contre les FARDC. Ainsi, le 4 novembre 2013, 15 civils, dont huit hommes, une femme et six mineurs, ont été tués par des éclats d’obus lancés par des membres du M23 sur les localités de Bunagana, Chengerero et Cheya dans le territoire de Rutshuru. Les 9 et 10 mars 2013, à Rugari (à environ 35 kilomètres au nord de Goma), dans le territoire de Rutshuru, 12 civils ont été tués par balles par des membres du M23 lors de combats entre deux parties rivales du mouvement, à savoir celle du Général Makenga et celle du Colonel Baudouin Ngaruye.

6.2.Atteintes au droit à l’intégrité physique

20. Le BCNUDH a enregistré 351 victimes d’atteintes au droit à l’intégrité physique par des membres du M23 entre avril 2012 et novembre 2013. Parmi elles, 161 ont été victimes de viol.

6.2.1. Violences sexuelles

21. Le nombre total de victimes de viol enregistrées par le BCNUDH à partir d’avril 2012 jusqu’au mois de novembre 2013 est de 161 victimes, dont 12 filles. Ces viols ont été perpétrés à l’intérieur et à l’extérieur du camp de déplacés de Mugunga, dans le camp militaire de Katindo, ainsi que dans d’autres zones des territoires de Rutshuru et de Nyiragongo. A titre d’exemple, 49 femmes, essentiellement des femmes de militaires des FARDC qui avaient fui durant l’avancée du M23, ont été victimes de viols commis par des membres du M23 dans le camp de Katindo à Goma entre le 21 et le 25 novembre 2012.

22. Le nombre de viols et d’autres actes de violence sexuelle commis par des membres du M23 pourrait être beaucoup plus élevé car certaines victimes, craignant des représailles, auraient préféré garder le silence. D’autres parmi elles auraient même refusé de se faire soigner dans des structures médicales.

6.2.2. Tortures et traitements cruels, inhumains ou dégradants

23. Les membres du M23 ont commis des actes de torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants notamment sur des personnes qu’ils détenaient. A cet égard, le BCNUDH a documenté le cas de détenus civils et militaires au camp militaire de Rumangabo, territoire de Rutshuru, qui ont fait l’objet de châtiments corporels pour s’être opposés à l’exécution de travaux forcés, comme le puisage d’eau, la lessive et d’autres travaux domestiques.

24. D’autres cas de torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants par des membres du M23 ont été documentés par le BCNUDH. Par exemple, des membres du M23 ont fait irruption dans une maison à Rutsiro, territoire de Rutshuru, dans la nuit du 9 au 10 décembre 2012 et ils ont asséné plusieurs coups de machette au propriétaire de la maison pour l’obliger à montrer la résidence d’un activiste de l’ONG Ligue de Sacrifice Volontaire pour les Droits de l’Homme (LISVDH). Ce dernier a été arrêté, ligoté et soumis à des mauvais traitements par les membres du M23. Il a été détenu pendant trois jours dans la position du M23 de Nyarubara près de Runyonyi en territoire de Rutshuru. Au cours de sa détention, la victime a été fouettée à plusieurs reprises afin de lui extirper des aveux sur ses activités de dénonciation du M23 ainsi que sur la possession d’une radio motorola. La victime a réussi à s’échapper, le 13 décembre 2012, avec la complicité d’un membre du M23 auquel sa famille aurait donné 250 dollars américains.

25. Par ailleurs, un homme de 35 ans a été fouetté, notamment sur la tête, le 2 juin 2013, à Matovu dans le groupement de Kisigari, territoire de Rutshuru, par des membres armés du M23. Les auteurs lui auraient reproché son absence au travail communautaire obligatoire communément appelé « salongo ». La victime a été admise au poste de santé dans la localité de Matovu après sa libération.

26. Dans un autre cas, le 3 juillet 2013, les membres du M23 ont sévèrement battu un homme à leur position de Burambo (à environ six kilomètres au nord de Goma) dans le groupement de Buvira, territoire de Nyiragongo. Ils lui auraient reproché d’avoir réclamé le paiement de bouteilles de bière que les membres du M23 auraient pris à crédit. La victime a été relâchée le même jour.

6.2.3. Autres atteintes au droit à l’intégrité physique

27. Le BCNUDH a été en mesure de documenter plusieurs cas de personnes qui ont été victimes d’autres atteintes au droit à l’intégrité physique, notamment dans le cadre d’attaques par des membres du M23. Ainsi, 37 personnes ont été blessées, le 4 novembre 2013, par des obus tirés par des membres du M23 à partir de leurs positions sur la colline de Tshanzu sur les zones résidentielles de Bunagana, de Chengerero et de Cheya dans le territoire de Rutshuru. En outre, deux garçons ont été blessés par balles, le 25 février 2013, par des membres du M23 dans le village de Buhama (à environ 12 kilomètres au nord de Goma) dans le groupement de Kibati, territoire de Nyiragongo. Les auteurs présumés ont pris la fuite après avoir tiré sur les victimes. L’un des garçons a été blessé au niveau du genou, alors que l’autre l’a été au niveau du bras.

6.3.Atteintes au droit à la liberté et à la sécurité

28. Le BCNUDH a enregistré 296 victimes d’atteintes au droit à la liberté et sécurité de la personne par des membres du M23 entre avril 2012 et novembre 2013.

6.3.1. Enlèvements

29. Entre avril 2012 et novembre 2013, le M23 a été à l’origine de nombreux enlèvements de civils, qui auraient notamment été accusés de collaborer avec des éléments Maï Maï ou les autorités congolaises. Dans certains cas, l’enlèvement aurait été motivé par l’obtention d’une rançon en échange d’une libération.

30. A titre d’exemple, 30 jeunes hommes ont été enlevés par des membres du M23 le 7 juillet 2012 dans la localité de Chengerero (à environ 20 kilomètres à l’est de Rutshuru-centre) dans le groupement Jomba, territoire de Rutshuru. Les victimes auraient été contraintes de transporter des effets personnels des membres du M23 en direction de Runyonyi. Le sort des jeunes hommes ne serait toujours pas connu à ce jour. Le 25 février 2013, sept jeunes hommes ont été également arrêtés dans le village de Kalengera dans la collectivité Bwisha (55 kilomètres au nord de Goma) dans le territoire de Rutshuru et conduits vers Rutshuru-centre par des membres du M23 qui auraient fait partie de la garde rapprochée du Colonel Baudouin Ngaruye. Les victimes auraient tenté d’organiser une marche contre le M23. Le sort de ces jeunes hommes resterait inconnu à ce jour.

31. Plusieurs autorités administratives et membres du corps enseignant ont été victimes d’enlèvements commis par le M23. Le chef de la localité de Rubare (à environ 65 kilomètres au nord de Goma) a ainsi été enlevé à son domicile à Rubare dans le groupement Kisigari, territoire de Rutshuru, dans la nuit du 29 au 30 avril 2013, pour avoir critiqué le M23 lors d’une réunion. La victime a été libérée, le 1er mai 2013, après avoir remis deux chèvres aux membres du M23. Le BCNUDH a également documenté l’enlèvement, le 27 novembre 2012, du directeur d’un institut pédagogique de Goma par quatre membres du M23 dans le quartier Ndosho de la ville de Goma. Il a été libéré le 28 novembre 2012. Le directeur de l’école primaire de Kalengera dans le groupement Kisigari, territoire de Rutshuru, a aussi été enlevé à son domicile le 21 juillet 2013 par des membres du M23, qui auraient exigé le paiement de 500 dollars américains en échange de sa libération obtenue le 30 juillet 2013.

6.3.2. Recrutements forcés

32. Pendant près de 19 mois d’occupation par le M23 de certaines localités des territoires de Nyiragongo et de Rutshuru, le BCNUDH a documenté le recrutement forcé d’un nombre élevé de civils, y compris de membres influents de différentes communautés. Par ailleurs, le Section Protection de l’Enfant de la MONUSCO a documenté le recrutement de 124 enfants par le M23.

33. En juillet 2012, au moins 60 adultes ont été recrutés par le M23 et ont été forcés à suivre une formation militaire à Bukima et Runyoni dans le territoire de Rutshuru. Ils ont été enrôlés de force dans les rangs du M23, mais certains ont réussi à prendre la fuite. Il y a lieu de citer également le cas de 13 autorités locales, dont trois en provenance des groupements de Kibati, Buvira et Buhumba, qui ont été contraintes à une formation idéologique et militaire organisée par le M23 au centre de formation de Rumangabo entre le 25 et le 28 janvier 2013.

34. Par ailleurs, dix chefs de localité et deux jeunes hommes ont été enrôlés de force les 1er et 2 juillet 2013 dans les groupements de Kibumba et Buhumba (à environ 25 kilomètres au nord de Goma), territoire de Nyiragongo, par un homme armé en tenue militaire du M23. Ils ont été

amenés à la base militaire du M23 à Rumangabo, en territoire de Rutshuru, pour y subir une formation militaire. Les dix chefs sont retournés dans leur village, tandis que les deux jeunes auraient été enrôlés dans la branche armée du M23.

6.3.3. Travaux forcés

35. Au cours de la période couverte par ce rapport, le BCNUDH a enregistré 18 victimes de travaux forcés par le M23, dont neuf hommes, sept femmes, une fille et un garçon. A titre d’exemple, le 13 avril 2013, le chef de village de Kibiriga et un élève du même village dans le groupement de Kisigari, en territoire de Rutshuru, ont été enlevés et forcés à transporter des bagages appartenant à des membres du M23 du village de Kibiriga jusqu’à la base militaire du M23 à Rumangabo. Le sort de ces personnes resterait inconnu à ce jour. Vers la mi-juillet 2012, un groupe de membres du M23 est venu à Rumangabo et a forcé la population civile (y compris de nombreux enfants) à transporter leurs biens jusqu’à Runyioni.

6.3.4. Arrestations et détentions arbitraires et/ou illégales

36. Le BCNUDH a documenté un nombre élevé de victimes d’arrestations et de détentions arbitraires et/ou illégales par des membres du M23 lors de la période couverte par ce rapport. L’un des plus grands centres de détention gérés par le M23 fut la prison située dans le camp militaire de Rumangabo que le personnel du BCNUDH a pu visiter le 4 novembre 2013. Beaucoup de personnes y ont été détenues de manière arbitraire et illégale. Le BCNUDH a ainsi documenté le cas de trois personnes arrêtées, le 6 septembre 2012, dans le village de Kabaya dans la localité de Rumangabo, collectivité de Bwisha, territoire de Rutshuru, par des membres armés du M23. Elles ont été arrêtées alors qu’elles assistaient aux cérémonies de deuil du chef de localité de Rumangabo tué par balle le 5 septembre 2012 par des membres du M23. Les victimes ont été détenues dans la prison du camp militaire de Rumangabo. Elles ont été libérées après une semaine de détention. Un autre homme a été arrêté par le commandant de la police du M23 à Rubare, territoire de Rutshuru, le 23 septembre 2012 sous prétexte qu’il aurait refusé d’intégrer le M23. Le commandant a demandé à la famille de payer une somme de 400 dollars américains en échange de sa libération qui a eu lieu le 30 septembre 2012 après le paiement de cette somme.

37. Selon plusieurs témoignages recueillis par le BCNUDH lors de missions dans le territoire de Rutshuru les 4 et 22 novembre 2013, le M23 s’est rendu responsable de détentions prolongées dans les prisons ou cachots sous sa supervision pour des infractions de droit commun. Un ancien détenu à la prison du camp militaire de Rumangabo interrogé par le BCNUDH a affirmé qu’il était resté une année et trois mois dans cette prison avant d’être transféré au cachot du M23 à Tshanzu où il a été détenu durant une semaine et demie. Il a été libéré après la prise de Tshanzu par les FARDC au début du mois de novembre 2013.

38. Un autre homme résidant à Munigi (à environ cinq kilomètres au nord de la ville de Goma) et président des creuseurs de pierres de Munigi, territoire de Nyiragongo, a été invité par des membres du M23 à se présenter le 20 avril 2013 à leurs positions de Kibati (à environ 12 kilomètres au nord de Goma). Il aurait refusé de satisfaire à la demande des membres du M23 qui auraient exigé que leur soient versées les taxes prélevées sur les creuseurs de pierres dans les zones sous contrôle. Il a été alors placé en détention, puis libéré le 27 avril 2013.

6.4.Atteintes au droit à la propriété

6.4.1. Pillages

39. Les membres du M23 ont régulièrement commis des actes de pillage au cours de la période considérée par ce rapport, notamment durant l’occupation de la ville de Goma entre le 20 novembre et le 2 décembre 2012. Entre le 23 et le 27 novembre 2012, des hommes présumés appartenir au M23 ont procédé au pillage systématique du palais de justice militaire de Goma situé au camp militaire de Katindo ainsi que du bureau du gouverneur de province et de certains bureaux appartenant à l’administration publique. Ils ont emporté le matériel de bureau, des équipements informatiques et des archives du palais de justice vers une destination inconnue.

40. Le M23 a également systématiquement pillé, le 6 août 2012, des effets personnels, vivres et autres biens de valeur appartenant aux populations civiles des villages de Karambi et Rwaniro, territoire de Rutshuru. Les auteurs de ces actes ont d’abord intimidé et menacé de mort les habitants avant de se livrer aux pillages, prétextant être à la recherche d’armes à feu. Cette situation a entraîné le déplacement de la population civile vers la forêt pour des raisons de sécurité.

41. Par ailleurs, dans la localité de Rubare (à environ 65 kilomètres au nord de Goma), dans le groupement de Kisigari, territoire de Rutshuru, au moins 20 maisons ont été pillées dans la nuit du 1er au 2 mai 2013 par des membres du M23. Le 9 septembre 2013, plusieurs quartiers de Rutshuru-centre, notamment Kingarame, Kitambi, Bunyangula et Kashwa, ont également été systématiquement pillés par des membres du M23. Les auteurs ont emporté d’importantes sommes d’argent et des biens de valeur et ont pris la direction de la ville de Bunagana, dans le territoire de Rutshuru. Enfin, six maisons situées à Kihurura sur l’axe Kiwanja-Isasha, territoire de Rutshuru, ont été pillées, le 9 septembre 2013, par huit hommes accusés d’être des policiers du M23.

6.4.2. Autres appropriations illégales de propriété

42. Les témoignages recueillis auprès de plusieurs sources indiquent que le M23 avait mis en place une administration chargée de collecter le maximum de recettes en argent et en nature auprès de la population. La collecte de taxes par le M23 se faisait très souvent principalement à travers l’érection de barrages routiers comme ceux de Munigi et Rumangabo limitant les mouvements des populations, en particulier les opérateurs économiques. Par exemple, dans le groupement de Kibati, territoire de Nyiragongo, le M23 a érigé au moins quatre barrières pour la collecte des taxes de circulation et d’évacuation.

43. A titre d’exemple, des membres du M23 ont fait payer des taxes appelées « taxes d’entretien routier » à tous les chauffeurs de véhicules à Munigi, territoire de Nyiragongo. Le montant des taxes variait de 10 (pour les voitures) à 100 dollars américains (pour les camions de 20 à 30 tonnes). Ces taxes étaient payées à chaque passage de la barrière de Munigi. Des reçus étaient remis après le paiement de la taxe.

44. Les « taxateurs» du M23 exigeaient le paiement de 250 dollars américains pour tout camion de type Fuso dont le tonnage variait entre 17 et 20 tonnes et qui traversait la barrière de

Rumangabo. Une sur-taxation sur les planches provenant du territoire de Beni (province du Nord-Kivu) était également mise en place par le M23. Les importateurs de bois rouge du territoire de Beni étaient, en effet, dans l’obligation de payer 1.500 dollars américains au niveau de la barrière érigée par le M23 à Rumangabo alors que ceux qui ramenaient du bois d’eucalyptus devaient payer 300 dollars. A l’arrivée à Goma, les propriétaires des planches devaient payer également aux autorités congolaises des taxes de déchargement d’un montant de 1.000 dollars pour le bois rouge et de 300 dollars pour le bois d’eucalyptus.

45. Par ailleurs, les chauffeurs de véhicules transportant des produits vivriers d’une province à une autre comme de la province du Nord-Kivu à la province Orientale étaient astreints au paiement de 300 dollars américains par passage au niveau de la barrière de Rumangabo dans le territoire de Rutshuru. Etant donné que 10 à 15 véhicules passaient la barrière de Rumangabo chaque semaine, cela constituait une somme importante prélevée régulièrement par le M23.

46. Les recettes émanant de toutes ces taxes auraient été centralisées au niveau de l’administration du territoire de Rutshuru trois fois par semaine dans une caisse appelée « production » gérée par le département des Finances et du Budget du M23 dirigé par un officier du M23. Cette caisse aurait également compris les taxes collectées auprès de grands contributeurs ou entreprises notamment des fabricants d’eau minérale, de cigarettes ou des transporteurs de bois d’oeuvre. Ces gros contributeurs étaient astreints à payer une taxe de 20.000 dollars américains par mois selon certains témoignages.

47. Des tenanciers de boutique à Kiwanja étaient astreints, quant à eux, au paiement d’une somme annuelle allant de 200 à 500 dollars selon la taille de leur boutique. Quant aux petits commerçants, ils étaient astreints au paiement d’une patente annuelle de 25 dollars et de 2.500 francs congolais à titre d’impôt sur le revenu professionnel. Ils devaient payer une taxe additionnelle de trois dollars. Ceux qui n’étaient pas en mesure ou qui s’abstenaient de payer les différents impôts et taxes ont eu leurs boutiques scellées par les responsables de la Direction Générale des impôts (DGI)20 du M23.

48. Le rançonnement était une autre forme de taxation forcée et illégale pratiquée par des membres du M23 agissant de manière individuelle. Certains rançonnaient régulièrement des citoyens et des opérateurs économiques en érigeant des barrières. Les victimes de cette forme de taxation ne disposaient d’aucune voie de recours pour se plaindre. Selon plusieurs témoins et victimes interrogés, les chauffeurs de l’Association des chauffeurs du Congo étaient régulièrement rançonnés par les militaires du M23 postés à l’entrée de Rumangabo sur l’axe Rugari et Rubare, territoire de Rutshuru.

49. Le BCNUDH a, par ailleurs, reçu des témoignages selon lesquels des membres du M23 exigeaient aux habitants de la localité de Rumangabo, groupement de Kisigari, le paiement de 1.000 francs congolais par semaine et par ménage. Les propriétaires de vaches devaient donner trois dollars pour chaque vache qu’ils possédaient. A Kibumba, dans le territoire de Nyiragongo, chaque ménage devait payer 500 francs congolais par semaine.

20 Le Bureau de la Direction Générale des Impôts (DGI) basé à Kiwanja aurait été ré-ouvert par la Direction du M23 après la fuite des agents gouvernementaux et aurait collecté des impôts pour le M23.

VII. Conclusions et recommandations

50. Sur la base des témoignages recueillis par le BCNUDH, les membres du M23 ont commis des violations graves des droits de l’homme dans la province du Nord-Kivu entre les mois d’avril 2012 et novembre 2013, en particulier dans les parties des territoires de Rutshuru et de Nyiragongo, sur lesquelles le groupe a exercé un contrôle effectif pendant plusieurs mois. Certaines de ces violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire pourraient « en fonction des circonstances » constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ainsi que des crimes selon le Code pénal congolais.

51. Les différentes missions effectuées et les informations collectées par le BCNUDH lui ont permis de confirmer des atteintes au droit à la vie à l’encontre de 116 personnes, des atteintes à l’intégrité physique de 351 personnes, dont 161 victimes de viol, des atteintes au droit la liberté et à la sécurité de 296 personnes, dont 18 soumises à des travaux forcés, et 50 atteintes au droit de propriété.

52. Au vu des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire documentées par le BCNUDH, il est recommandé aux autorités congolaises:

- d’ouvrir des enquêtes judiciaires approfondies, rigoureuses et impartiales sur les crimes commis par les éléments civils et militaires du M23 dans la province du Nord-Kivu et plus particulièrement dans les zones des territoires de Nyiragongo et de Rutshuru que le groupe a occupées et de traduire tous les auteurs de ces crimes en justice afin qu’ils puissent répondre de leurs actes devant les juridictions compétentes ;

- de s’assurer que les personnes impliquées dans des violations graves des droits de l’homme et des crimes internationaux dont le génocide, les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre ne bénéficient pas des dispositions de la loi d’amnistie de 2014 prise en application des Déclarations de Nairobi du 12 décembre 2013 ;

- de restaurer l’autorité de l’Etat dans toutes les zones libérées par le déploiement d’une police et d’une justice exemptes de tout reproche en matière de respect des droits de l’homme.

 

Bannière 1xBet Catfish