Les Congolais retiennent leur souffle. Si l’acquittement de Jean-Pierre Bemba a lieu ce lundi 21 mars 2016, l’arène politique congolaise va connaître une nouvelle donne dans la perspective de l’alternance politique de fin 2016. Le camp du changement se renforcerait en même temps que la course à la magistrature suprême y sera relancée, tandis que l’inquiétude irait crescendo dans celui du statu quo.
Ce lundi 21 mars, tous les Congolais ont soit l’œil rivé sur la Haye ou l’oreille tendue vers cette ville hollandaise devenue célèbre en RDC depuis qu’elle a ouvert son bagne de Vermighen à Jean-Pierre Bemba. Sous le coup de 14h00, heure locale, soit 15h00 à Kinshasa, la Chambre de première instance III de la Cour pénale internationale (CPI) va - sous la présidence de Mme la juge Sylvia Steiner (Brésil) avec à ses côtés Mmes les juges Juge Joyce Aluoch (Kenya) et Kuniko Ozaki (Japon) - rendre son jugement dans l’affaire Le Procureur c. Jean- Pierre Bemba Gombo. Ce verdict va ainsi marquer l’épilogue d’un feuilleton judiciaire de huit ans, commencé avec l’arrestation de l’ancien Vice- Président de la République le 24 mai 2008 à Bruxelles avant son transfèrement à la Haye le 03 juillet 2008. Sa première comparution devant la Chambre préliminaire III avait eu lieu le 4 juillet 2008, suivie six mois plus tard (12 au 15 janvier 2009) de l’audience de confirmation des charges. La décision de confirmation de charge interviendra le 15 juin 2009. En tant que chef militaire, le leader du MLC est poursuivi de deux chefs de crimes contre l’humanité (viol et meurtre) et de trois chefs de crimes de guerre (viol, meurtre, et pillage) prétendument commis dans le cadre de la situation en République Centrafricaine entre 2002-2003.
Ce procès, qui a connu deux procureurs, d’abord l’Argentin Luiz Moreno Ocampo, puis la Gambienne Fatou Bensouda, s’était ouvert le 22 novembre 2010 et la phase de présentation des éléments de preuve s’était conclue le 7 avril 2014.
A la demande de la Défense, la Chambre avait rouvert le 2 octobre 2014 l’audition des preuves afin d’entendre d’autres témoignages ; témoignages supplémentaires, qui s’étaient conclus le 24 octobre 2014. Par la suite, l’Accusation, la Défense et les Représentants légaux des victimes avaient soumis leurs déclarations en clôture orales les 12 et 13 novembre 2014. Le verdict dans cette affaire - qui a vu naître, entre-temps, la deuxième affaire Bemba pour subornation des témoins - était attendu au milieu de l’année 2015. Mais, c’est presqu’une année après qu’il va finalement tomber.
Ce verdict sera lu en public et l’audience y relative sera retransmise ‘en direct sur le site Internet de la CPI. Il peut soit acquitter soit condamner l’accusé. Ni la Procureure Bensouda, ni le Président de la CPI encore moins les avocats de Jean Pierre Bemba, personne ne sait la décision que les trois juges vont rendre ce 21 mars, a dit le 17 mars Patrick Tshibuyi, chargé de la sensibilisation au bureau de la CPI à Kinshasa. Et d’ajouter : « L’affaire est strictement judiciaire. Il n’y a aucun intérêt politique, aucune main basse de, la part de la CPI dans ce dossier spécifique. Les juges sont indépendants et ne reçoivent aucune injonction du gouvernement, de l’assemblée générale des Nations unies, même de la présidence de la CPI ». Ces assurances ont été données par la CPI le 02 février dernier à l’occasion de l’annonce de l’a date du prononcé du jugement. Elle déclarait, en effet, que « la Chambre de première instance ne peut condamner un accusé que si elle est convaincue que les charges qui pesaient contre lui ont été prouvées au-delà de tout doute raisonnable. Les trois juges assureront l’équité du procès et que les droits des deux parties et des’ victimes soient respectés. Les parties ont le droit de faire appel du jugement devant la Chambre d’appel de la CPI ».
Au-delà de ces assurances, il reste, cependant, que l’Accusation, sous Moreno Ocampo et Fatou Bensouda, n’a pas eu la tâche facile pendant ces huit années, pour mettre en évidence l’esprit d’ubiquité qui a caractérisé Jean Pierre Bemba au cours de l’épopée centrafricaine pour être en même temps en RDC et en RCA pour commander ses troupes mises officiellement sous les ordres des Forces Armées Centrafricaines (FACA) pour être à ce point comptable de leurs actes. Et surtout sur un terrain qu’il ne connaît pas. Tout au long de ce procès, aucun responsable centrafricain de l’époque n’a été invité à comparaître. L’ancien Président centrafricain Ange Patassé l’a réclamé jusqu’à sa mort sans que cette chance lui soit donnée. Tout en ne remettant pas en cause les méthodes de la CPI, d’aucuns en RDC - au vu du déroulement du procès - n’ont jamais hésité à dénoncer le caractère politique de cette affaire, estimant que le dossier était vide. La cruauté de derniers massacres en RCA, à la suite de la rébellion de la Seleka qui a renversé le régime Bozizé, lui-même impliqué dans les troubles de 2002-2003 dans son pays à la base de l’intervention des troupes du MLC, sont venus réconforter bien de gens en RDC et ailleurs dans leur conviction selon laquelle Jean Pierre Bemba ne serait qu’une victime expiatoire.
Fini les spéculations. Les Congolais de tous bords retiennent leur souffle. Tout le monde sera fixé ce 21 mars, y compris Jean Pierre Bemba lui-même. Si jamais il est acquitté dans cette affaire principale - même s’il devra être gardé encore au frais dans de la cadre de la 2ème affaire dite de subornation des témoins - l’arène politique congolaise sera cotée sur l’échelle de Richter. Ce sera une nouvelle donne dont on devra désormais tenir compte. Le camp du changement auquel appartient son parti, le MLC, va se raffermir davantage et s’ériger solidement telle une palplanche à la vague du « glissement de mandat » qui hante le camp de la Majorité présidentielle, dont l’inquiétude irait à son comble, dans la perspective de l’alternance politique de fin décembre 2016. En même temps aussi, la course sera relancée à l’opposition sur cette échéance.
Bien que la RDC ne soit pas officiellement mêlée à cette affaire, il y a fort à parier que les autorités de Kinshasa vont croiser les bras devant cette occurrence si elles ne se sont pas déjà activées pour pousser Bangui dans un sens comme dans un autre. Il y a lieu, cependant, de relever que le nouveau Président centrafricain élu Faustin-Archange Touadéra a effectué, avant même sa prise de pouvoir qui intervient ce 30 mars, un déplacement Kinshasa le 07 mars dernier. Au sortir de l’audience avec son homologue congolais, il a déclaré être venu à Kinshasa avoir les conseils et les indications sur les questions auxquelles la Centrafrique est confrontée, au regard de l’expérience que ce dernier a acquise dans la gestion d’un pays post-conflit. A l’occasion, il a examiné avec président Kabila les voies et moyens pouvant permettre à améliorer les conditions de vies des Centrafricains réfugiés en RDC et celles de ceux qui souhaitent regagner le bercail.
Correspondance particulière de Moïse Musangana