A la recherche d’un partenariat stratégique, la RDC partagée entre la Chine et l’Occident

Mardi 7 juillet 2015 - 06:05

L’onde de choc du tollé provoqué par le partenariat sino-congolais, conclu en septembre 2007, se fait toujours sentir auprès des institutions financières internationales et du peuple de la République démocratique du Congo (RDC).

Ce deal, dit « contrat du siècle », a été perçu d’un mauvais œil par les Occidentaux. Dès lors, la RDC est à la croisée entre des intérêts chinois et occidentaux. Aux responsables congolais en particulier, et africains, en général, de prendre la bonne décision en signant un partenariat stratégique avec la Chine. Des élites ont donné de la voix.

Il n’est pas normal que 55 ans après l’indépendance, la RDC demande au Fonds monétaire international, à la Banque mondiale, à l’Union européenne, aux USA, à la Chine ou à la Banque africaine de développement, quel serait le meilleur plan de son développement.

Tout aussi, il n’est pas acceptable que les grandes puissances du monde, pour le devenir de la RDC et des Congolais, consulte plutôt Kigali, Luanda, Kampala ou Durban, en lieu et place de Kinshasa. C’est pourtant la dure réalité qui explique les interférences notamment des Occidentaux dans la marche de la RDC vers son développement.

Hier, c’étaient seulement des grandes puissances qui pillaient les ressources de la RDC. Aujourd’hui, tout le monde puise les richesses du Congo : les grandes puissances, les multinationales, les émergents, les mercenaires, les pays frontaliers et même des criminels de tout bord. Ce qui traduit l’esprit de 1885 où le Congo, propriété de Léopold II, était ouvert à l’internationalisation du commerce.

Le problème est que face aux intérêts croisés de l’Union européenne, des Etats-Unis ou encore de la Chine, la RDC paraît désarmée. Sa plus grande faiblesse est d’abord intellectuelle. Il n’est de richesses que l’intelligence, dit-on. Le pays manque cruellement une « intelligence stratégique » et une élite à même de canaliser et de mobiliser toutes les forces de la nation en vue d’un bien être collectif.

Au moment où Kinshasa met le cap sur l’émergence de la RDC à l’horizon 2030, des intellectuels congolais ont estimé utile de cerner le devenir de la RDC face aux mutations internationales partant de l’épisode des contrats chinois. Ce dernier est le plus important depuis la reprise de la coopération structurelle avec l’Occident et les institutions financières internationales en 2002.

Ce contrat a curieusement suscité un tollé général alors que tout le monde fait affaires avec Pékin. Les Occidentaux sont mêmes les premiers bénéficiaires de la manne financière de l’empire du milieu. Ce qui ne les a empêchés de court-circuiter le partenariat sino-congolais.

Le partenariat sino-congolais dans l’œil du cyclone

C’est donc soucieux de sensibiliser, inciter, réveiller, questionner et interpeller les consciences congolaises que le quotidien Le Potentiel et Radio Télé 7, engagés dans cette voie depuis plus de six ans, ont organisé une conférence-débat autour du thème « la RDC, la Chine et l’Occident ».

Des personnalités du monde scientifique, politique, des intellectuels et des congolais lambda ont répondu à ce rendez-vous dont le but avoué était de permettre une analyse critique sur le plus grand contrat signé par l’Etat congolais ces trois dernières décennies.

Les deux principaux conférenciers du jour ont exposé autour du thème central retenu. Le premier orateur, Faustin Kuediasala, économiste et directeur de publication au quotidien Le Potentiel, a fait un « Etat des lieux du partenariat Sino-congolais ».

Le deuxième, Freddy Mulumba Kabuayi, vice-président au groupe de presse Le Potentiel et Radio Télé 7, a centré son intervention sur « les investissements chinois dans le monde » et a fait une « analyse géostratégique du partenariat sino-congolais ».

Dans le lot des intervenants, le modérateur de la matinée Bienvenu-Marie Bakumanya a enregistré les points de vue des professeurs Emile Bongeli, Kambayi Bwasha, Pierre Biyoya, Abbé Mugaruka, Kankwenda ainsi que Mme Angel Makombo, présidente du parti politique Ligue des démocrates congolais. Tous ont tenté de cerner le contour du partenariat sino-congolais qui a suscité un tollé général en Occident et dans les milieux des institutions financières internationales.

Le partenariat sino-congolais a été marqué par le contrat dit « du siècle » conclu en septembre 2007 par la RDC, en tant qu’Etat, et des sociétés privées chinoises, Sinohydro et Crec, sous le financement d’Exim Bank of China.

Ce projet, d’une valeur initiale de 9 milliards USD, avait deux volets. Le premier concernait la construction des infrastructures à hauteur de 3 milliards USD. Le deuxième consistait au développement d’un projet d’exploitation minière avec la création de la sino-congolaise des mines (Sicomines), lancée en septembre 2008.

Soulignant le contexte dans lequel ce contrat a été signé, Faustin Kuediasala, a indiqué qu’il est intervenu au moment où la RDC était en froid avec ses partenaires traditionnels notamment le FMI qui venait de suspendre en 2004, son programme formel avec Kinshasa.

Aussi, ce projet de coopération est-il le fruit du programme de campagne du candidat Joseph Kabila qui, une fois élu aux élections présidentielles de 2006, était dans l’obligation d’en chercher le financement. Pour cet économiste, le contrat chinois, n’a pas connu d’avancées notables.

Dans son volet infrastructure, selon les données contenues dans le dernier rapport du secrétariat exécutif de l’ITIE sur base des données de l’Agence des grands travaux, ce contrat n’a été exécuté qu’à la hauteur de 55 millions USD sur les 3 milliards prévus, soit un taux de réalisation faible de 1,8%. Par contre, en ce qui concerne l’entreprise minière, la Sicomines, elle est détenue par l’Etat chinois (68%) et l’Etat congolais (32%)….

Cependant, a-t-il souligné, la RDC, dans ce contexte là, n’avait pas de choix que de se tourner vers les Chinois qui présentaient des avantages comparatifs certains en dépit du risque d’alourdissement de sa dette ou du pillage de ses ressources naturelles.

Déplorant le véto du FMI qui a contraint la réévaluation du contrat chinois le faisant passer de 9 milliards USD à 6,2 milliards USD, Faustin Kuediasala a souligné aussi qu’une des faiblesses de ce programme était justement liée à sa nature, conclue entre l’Etat congolais et des privés chinois même si ceux-ci étaient financés avec de l’argent public.

« La voie chinoise de la reconstruction et du développement présente des avantages comparatifs réels par rapport à « l’offre européenne », mais elle n’est pas exempte de zones d’ombre et de problèmes, notamment les risques d’un nouveau pillage des ressources naturelles et d’un alourdissement de la dette d’un pays déjà surendetté.

Pour être efficace, le partenariat entre la RDC et la Chine doit être bâti au regard des besoins réels de la RDC en impliquant effectivement l’élite congolaise dans sa mise en œuvre, conclut Faustin Kuediasala.

Afflux vers la manne chinoise

Dans son intervention, Freddy Mulumba a soutenu que la RDC et l’Afrique ont une chance unique de faire des choix utiles pour leur développement face aux mutations observées actuellement sur le plan international.

A son avis, depuis que la Chine est devenue le premier partenaire économique de l’Afrique en 2009, deux camps s’affrontent.

Certains dénoncent ses investissements, prétextant qu’ils risquent de contribuer à la désindustrialisation et à la recolonisation du continent noir. D’autres, par contre, soutiennent que les investissements chinois en Afrique sont une chance unique pour le développement de l’Afrique, confrontée à cinq siècles de la domination occidentale faite de la traite négrière, de l’esclavage, de la colonisation et du néo-colonialisme.

En effet, la Chine possédait 4.000 milliards USD de réserves internationales en 2014. Pékin détient les bons du Trésor américain à la hauteur de 1.277 milliards USD fin juillet 2013.

Elle est ainsi le premier créancier étranger des Etats-Unis d’Amérique avec 23 % de leur dette. Le stock d’investissements chinois en Europe est passé de 6,1 milliards à 27 milliards d’euros entre 2010 et 2014, selon les dernières études de la Deutshe Bank.

Entre de 2005 et 2012, les investissements chinois en ressources naturelles dans le monde se présentent comme suit: Asie et Russie 18 %, Amérique du Nord 18 %, Amérique Latine 17, %, Océanie 17 %, Afrique 12 %, Europe 10 %, Moyen Orient 8 %.

Il en est de même des investissements hors ressources naturelles : Amérique du Nord 34 %, Europe 24 %, Asie et Russie 16 %, Afrique 10 %.
Comme les chiffres le démontrent, la Chine investit plus en Occident que dans n’importe quelle partie du globe. Cependant, Freddy Mulumba s’étonne que certaines personnes voient d’un mauvais œil les investissements chinois en RDC.

« Pour moi, la réponse à toutes cette attitude se trouvent d’abord dans l’histoire de notre pays avec l’Europe. En 1885, à la Conférence de Berlin, le Congo était considéré comme un produit du capitalisme prédateur. Le Congo fut créé par 14 puissances, avec comme clé la liberté de commerce. En plus, il fut considéré par les élites politiques et économiques occidentales comme le réservoir de matières premières pour leur industrie. Cette représentation du Congo dans l’imaginaire des occidentaux n’a pas changé jusqu’aujourd’hui », soutient Freddy Mulumba.

Aussi, interpelle-t-il, les Congolais et les Africains à ouvrir l’œil et le bon. Sa crainte est que l’Occident ne se serve de la manne financière de la Chine pour venir assoir sa domination en Afrique et, partant en RDC.

Prenant à témoin les propos de l’ancien ministre belge des Affaires étrangères et ancien commissaire européen, Karel de Gucht, qui avait déclaré, devant les journalistes au plus fort du désaccord avec le président joseph Kabila : « nous n’allons pas quand même lâcher notre Congo à ces chinetoques (chinois) ».

« Pour les occidentaux, l’accès de la Chine aux minerais stratégiques que regorgent la RDC menace leur hégémonie. La RDC détient la grande réserve mondiale de cobalt et du coltan.

Ces minerais sont vitaux pour les industries aéronautiques et industries de défenses occidentales. Pour eux, il faut par tous les moyens empêcher la Chine de mettre la main sur ces minerais stratégiques », croit savoir Freddy Mulumba.

Pour contrer le partenariat de la RDC avec la Chine, l’orateur soutient qu’une stratégie du chaos est mise en place. « La guerre à l’est de notre pays a pour finalité d’entretenir une guerre permanente afin d’empêcher la Chine d’investir au Congo.

Certaines multinationales occidentales et certains hommes politiques occidentaux prévoient même la balkanisation du Congo. Comme ce fut le cas au Soudan, en Libye, au Mali ».

Toutefois, Freddy Mulumba invite les élites et les acteurs politiques à faire le choix lucide d’un partenariat stratégique avec la Chine malgré les menaces occidentales.

Les interventions des scientifiques qui se sont succédées à la tribune ont démontré que la RDC doit s’assumer, d’abord en élaborant son propre plan de développement ensuite en se choisissant les partenaires les mieux disposés à suivre la stratégie mise en place.

Une vision, une volonté et des compétences sont nécessaires pour réussir dans cette voie. La Chine et l’Occident n’étant pas en opposition, la RDC est invitée à opérer en toute liberté et connaissance des causes les partenariats qui lui sont favorables.