
L’INTERVIEW ÉCO – Relance de l’exploration pétrolière, différend avec le Rwanda, audit des activités de Perenco ou encore partenariat avec Trafigura… Le ministre congolais des Hydrocarbures insiste sur la nécessité pour Kinshasa de diversifier son économie en développant le secteur de l’or noir.
Maher Hajbi
Publié le 6 juin 2025
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Géant mondial des mines, la RDC voudrait devenir un eldorado pétrolier et gazier en Afrique. D’après les estimations du ministère des Hydrocarbures, le sol congolais abriterait 22 milliards de barils de pétrole et 66 milliards de mètres cubes de gaz potentiels.
Sous l’impulsion du président Félix Tshisekedi, le pays a lancé en juillet 2022, après plus de deux ans d’attente et plusieurs prolongations, un appel d’offres pour 27 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers. Si ces trois derniers ont trouvé preneurs, ce n’est pas le cas des blocs pétroliers, les majors du secteur, comme TotalEnergies, Eni ou Exxon, ayant boudé le processus. Ce qui a conduit les autorités à annuler le processus.
Malgré ces difficultés, Kinshasa n’abandonne pas le projet et le ministère des Hydrocarbures, dirigé par Aimé Sakombi Molendo depuis mai 2024, et travaille à relancer au plus vite le processus. Soulignant la nécessité pour le pays de diversifier son économie, très dépendante du secteur minier, le ministre met en avant les leçons tirées du premier appel d’offres et les plans de Kinshasa pour attirer les investisseurs.
Jeune Afrique : La RDC peine, depuis plusieurs années, à développer l’exploitation du pétrole et du gaz. Comment comptez-vous dynamiser ce secteur ?
Aimé Sakombi Molendo : Nous avons mis en œuvre trois réformes majeures. En premier lieu, il s’agit de la révision du code pétrolier, qui est en cours, car l’annulation de la première mise aux enchères s’explique en partie par les lacunes inhérentes à notre législation. Ensuite, le découpage de nos blocs pétroliers a été revu avec l’identification de 52 nouveaux blocs dits « assainis », c’est-à-dire sans empiètement sur les aires protégées. Enfin, une campagne sismique sera lancée sur ces blocs par des entreprises spécialisées.
Pourtant, une coalition d’ONG congolaises et internationales conteste l’ouverture de ces 52 blocs dans le bassin du Congo…
À la clôture du précédent appel d’offres le 11 octobre 2024, nous nous sommes engagés à tenir compte des remarques formulées par les organisations environnementales. Le nouveau découpage a été réalisé en étroite collaboration avec le ministère de l’Environnement, justement pour écarter toutes les zones classées comme aires protégées contenant essentiellement des tourbières. Le gouvernement a respecté ses engagements en proposant des blocs « détoxifiés » de toute zone environnementale sensible, car essentielles à l’humanité. D’ailleurs, plusieurs ONG nous ont applaudis au départ, avant de se rétracter.
Si elles sont dans leur rôle de vigie, à ce que je sache, elles n’ont pas été élues. C’est le président de la République, Félix Tshisekedi, qui l’a été et c’est lui qui fixe le cap. Les enjeux et gains économiques de l’exploration pétrolière sont immenses pour la RDC. Les spécialistes parlent de plusieurs milliards de barils de pétrole et de BTU de gaz. Ces ressources, si elles sont certifiées, peuvent changer le destin économique de notre pays. De plus, le gaz associé lors des découvertes pétrolières sera valorisé en électricité et pourra couvrir notre déficit. Notre plan est d’explorer, de produire et d’exploiter ces ressources de manière responsable. Nous ne reculerons pas.
Plusieurs observateurs pointent le fait qu’il faut encore prouver l’existence de ces resssources par des opérations de forage et une série de découvertes majeures. Comment avancer sur ce plan ?
Certes, la RDC est un pays sous-exploré, la dernière découverte pétrolière remontant à plusieurs années. Mais nous avons repris les efforts de valorisation de notre potentiel en hydrocarbures. Cette dynamique nous permet d’espérer une véritable revanche du pétrole sur les mines, historiquement prédominantes. Je suis convaincu que si la RDC est déjà un scandale géologique, elle va devenir un scandale pétrolier à l’issue de ces réformes.
Quelles leçons avez-vous tirées de l’échec du précédent appel d’offres ? Et comment comptez-vous garantir la transparence dans le secteur de l’or noir alors que l’exploitation des ressources minières est marquée par de récurrentes affaires de corruption ?
Je ne parlerai pas d’échec, mais plutôt d’une première expérience. Cette tentative nous a permis d’identifier les faiblesses de notre cadre juridique et de consulter l’ensemble des acteurs — majors et juniors des hydrocarbures pour ajuster notre stratégie. Le futur code pétrolier assurera une meilleure transparence et traçabilité, en particulier dans les appels d’offres. Il sera élaboré avec l’aide de l’Association des pays africains producteurs de pétrole (Appo) pour permettre à la RDC de se conformer aux pratiques de l’industrie pétrolière internationale. Nous voulons renforcer la sécurité juridique des investisseurs, garantir une fiscalité claire et lutter contre toute forme d’opacité.
Quand envisagez-vous de mettre les 52 nouveaux blocs aux enchères ?
Nous espérons finaliser le nouveau code pétrolier au mois de septembre. En parallèle, nous menons des discussions avancées avec plusieurs sociétés en vue de relancer les activités d’exploration. Nous travaillons avec des sociétés spécialisées pour retraiter les données sismiques, certifier les réserves, constituer une data room hautement sécurisée et préparer une exploitation efficace. Nous pensons pouvoir obtenir des résultats concrets d’ici six mois.
En attendant, le gouvernement a attribué les blocs 1 et 2 du Graben Albertine à la société nationale Sonahydroc qui opérera par l’intermédiaire d’un contrat de service. Ces actifs, situés en face des blocs ougandais, sont parmi les plus prometteurs. Le bassin étant commun, nous avons de bonnes raisons de penser que le potentiel du côté congolais est tout aussi important.
La Sonahydroc dispose-t-elle des capacités financières et techniques pour développer ces actifs ?
Le gouvernement congolais a pris l’option de soutenir la valorisation des hydrocarbures. Malgré les contraintes budgétaires dues à la guerre, nous sommes en pourparlers avec plusieurs partenaires, pour la mise en place des financements innovants et pour le renforcement des capacités de notre société nationale ainsi que de nos ressources humaines. Par ailleurs, le contrat de service contrairement au classique contrat de partage de production (CPP), autorise une cession des droits après certification.
Les majors ont boudé les premiers appels d’offres de la RDC. Pensez-vous pouvoir les convaincre de s’intéresser aux nouveaux blocs ?
Nous restons en contact permanent avec ces entreprises. Ce qui compte, c’est de maintenir le dialogue. Une fois que notre code sera suffisamment attractif et que nous disposerons de données sismiques solides et de quelques forages exploratoires, les choses devraient évoluer naturellement. Nous avons également identifié plusieurs compagnies juniors intéressées, qui attendent de voir si nous avons tiré les leçons de la précédente mise aux enchères.
La situation sécuritaire aura-t-elle un impact sur les ambitions de la RDC ?
Aucun problème sécuritaire n’est à signaler dans le nouveau portfolio de blocs pétroliers, notamment dans la cuvette centrale, qui couvre plus de 1 100 000 km². La frilosité des investisseurs n’est pas liée au volet sécuritaire mais plutôt aux aspects techniques : la qualité des données sismiques, l’attractivité du code pétrolier et la protection des zones protégées.
Seul opérateur actif en RDC, le pétrolier franco-britannique Perenco fait l’objet d’un audit. Où en est l’enquête ?
Perenco opère depuis plus de 25 ans sur base d’un système déclaratif. Ma première mission en tant que ministre a été de leur rendre visite. Mon rapport à la Première ministre et au chef de l’État a révélé une baisse de la production de 25 000 à 18 000 barils par jour. Cela a conduit par ricochet à la décision de lancer un audit complet concernant la production réelle et le respect des contrats, de la fiscalité et des engagements environnementaux.
Des rapports intermédiaires ont déjà été transmis. L’audit complet court jusqu’en décembre. Mais, pour l’instant, leur collaboration est partielle. Certaines documentations demandées ne nous ont pas encore été transmises. Nous espérons que tout se fera dans les normes, comme cela se pratique ailleurs, parfois de manière annuelle, sans que cela n’émeuve qui que ce soit.
Le Rwanda a annoncé une découverte dans le lac Kivu avant de rétropédaler. Alors que Kigali et Kinshasa ont signé un accord pour l’exploration et l’exploitation conjointe des ressources du lac Kivu, cette option est toujours d’actualité ?
Oui, l’accord reste valable car, à ce jour, aucune des parties ne l’a dénoncé. Cependant, le Rwanda a violé l’accord en ne partageant pas avec la RDC les résultats de ses explorations, comme l’exige la convention de Rubavu. Sur instruction de la Première ministre, la RDC a adressé une mise en demeure à la société Rwanda Mines, Petroleum and Gas Board (RMB) du fait de la parution d’un communiqué le 15 janvier 2025, portant sur les résultats des études sismiques 2D réalisées au Lac Kivu et commanditées par elle.
Cette mise en demeure de 30 jours insiste entre autres, sur la communication de tous les rapports techniques et études relatifs aux explorations réalisées dans le lac Kivu, ainsi que sur la transmission des données géophysiques, géologiques et sismiques collectées. À défaut d’une réponse satisfaisante dans le délai imparti, la RDC se réserve le droit de prendre toutes mesures nécessaires pour faire respecter ses droits et garantir l’application des obligations prévues.
Vous avez signé un partenariat avec Trafigura pour faire du pétrole un moteur de développement. Quel rôle jouera le géant mondial du négoce en RDC ?
Trafigura est un partenaire de choix. Notre accord repose sur l’accompagnement stratégique, la mise à disposition d’un réseau global et l’échange d’expertise, sans implication opérationnelle dans les travaux d’exploration pétrolière. Le développement des projets d’infrastructures, notamment les pipelines qui permettront de réduire les coûts logistiques et de baisser le prix à la pompe, sera aussi à l’étude.
La promesse de baisser les prix à la pompe est-elle tenable ?
Oui, dans l’aval pétrolier, nous avons lancé plusieurs réformes, notamment contre la contrebande, qui nous fait perdre des milliards de dollars. Une des premières réponses a été le marquage moléculaire. Récemment, le conseil des ministres a validé l’obligation du port de scellés électroniques par les camions-citernes, depuis les ports de chargement. Cela permettra une traçabilité complète. Nous misons également sur la construction de pipelines. Ces réformes conjuguées permettront de réduire les coûts logistiques et, in fine, le prix des carburants.
Êtes-vous parvenu à trouver une solution aux créances dues aux distributeurs pétroliers et aux pénuries chroniques ?
Depuis que nous sommes en fonction, les pénuries n’existent pratiquement plus et nous avons même enregistré une baisse des prix à la pompe. Le processus de remboursement suit, quant à lui, son cours. La dette est actuellement en phase de consolidation. Elle sera inférieure à celle des années précédentes, mais je ne peux pas encore vous communiquer un chiffre précis.