En République Démocratique du Congo, la mortalité maternelle inquiète de plus en plus ces derniers mois. Ce vaste pays au cœur de l'Afrique est riche en ressources naturelles, mais le social de sa population estimée à plus de 90 millions d'habitants laisse à désirer.
D'après une étude démographique et de santé (EDS 2012-2013), la RDC est l'un des grands pays pourvoyeurs des décès maternels au niveau mondial.
La femme perd sa vie en voulant donner une vie, la situation est d'autant plus alarmante qu'elle attire l'attention des organisations qui se bousculent pour y mettre un terme.
Reportage
Dans son quartier de Kamayi Prison situé à Kananga (Kasaï-Central), un père de famille qui a perdu sa femme il y a deux années maintenant, nous accueille dans sa maison en briques. Monsieur Kavkla, est le nom que nous lui donnons vu son souhait de garder l'anonymat.
M. Kavkla élève tout seul ses deux enfants, depuis le décès de sa femme survenu lors de la naissance du troisième enfant, dont il n'a toujours pas de nouvelles. Le choc est persistant.
« J'ai deux enfants, à la troisième grossesse de ma femme, je n'ai pas vu ni ma femme ni l'enfant », se rappelle-t-il.
Il incrimine les Baleleshi (accoucheuses ou sages-femmes en Tshiluba, langue locale dans la région) de n'avoir pas sauvé les deux vies, celle sa femme et de l'enfant.
« Nous nous sommes rendus à l'hôpital quand il était temps pour ma femme de donner naissance, il y a eu les complications et les Baleleshi ne savaient rien faire pour sauver même la femme. On nous a référé c'était tard. J'ai tout perdu. Aujourd'hui, je peine pour me ressaisir », se plaint-il.
- Former les sages-femmes -
« Il faut que les Baleleshi puissent être bien formés pour bien faire leur travail. Parce que s'ils avaient une bonne formation ma femme et mon enfant n'allaient pas partir », conclut M. Kavkla.
Après 40 longues années de profession en tant que sage femme, Henriette Eke, d'heureuse mémoire, appuie dans son testament l'idée de renforcer les capacités des sage-femmes pour mettre un terme à cette situation.
« Nous devons doter toutes les sages-femmes de capacités pour une réponse humanitaire et pour cela, je préconise la vulgarisation du curriculum mis à jour dans la formation de sages-femmes », disait Henriette Eke, celle qui avait consacré 40 ans dans la profession de sage-femme et conseillère au bureau pays de l'UNFPA en RDC de 2017-2020.
L’Institut Supérieur des Techniques Médicales (ISTM/Kananga), établissement public de la place, forme aussi les sages. D'après Aimée Ngalula Nkita, chargée de l'enseignement à la filière de sage-femme, une sage-femme qui n'est pas bien formée constitue un danger pour la communauté, elle ne fera rien devant les cas compliqués, soutient-elle.
« Aujourd'hui les sages-femmes que nous formons chez nous contribue à la lutte contre le décès maternel. Durant leur formation, nous les apprenons comment se comporter devant une urgence qui peut se présenter quand il s'agit de la santé de la femme et de l'enfant », a déclaré le 26 octobre, celle qui a travaillé aussi comme sage-femme durant 20 ans, après avoir accepté de nous recevoir à sa résidence, en dehors du lieu de travail.
Du côté du Programme National de la Santé de la Reproduction (PNSR) au Kasaï-Central, les pionniers de la maternité sont associés aux différentes formations pour être au top dans leur travail.
« À chaque fois que nous avons des formations, nous faisons appel aux sages-femmes », confie Papy Ntumba médecin coordonnateur de PNSR.
- Tout le monde n'est pas sage-femme -
Elles sont des pièces maîtresses dans la lutte contre le décès maternel, Marie Ngalula Kabatusuila, sage-femme et responsable de la maternité à l'hôpital provincial du Kasaï-Central, préconise le remplacement des matrones par les sages-femmes dans toutes les maternités.
« Dans beaucoup de maternités tout le monde qui est là n'est pas sage-femme. Quelqu'un qui n'est pas sage-femme pourquoi elle doit être dans la maternité ? Nous sommes plus à l'époque de matrone », a-t-elle préconisé, le 29 octobre 2022, au cours d'une interview après sa sortie de la salle d'accouchement.
Pour elle, si une sage-femme n'est pas formée, elle ne saura pas référé la femme à l'échelon supérieur à temps, pour une bonne prise en charge.
« Il faut mettre les nouvelles sages-femmes aux côtés des chevronnées pour apprendre », a-t-elle souhaitée.
- L'apport de l'UNFPA -
Dans la perspective de lutter contre tout décès qui survient chez une femme enceinte dès la conception jusqu'à 42 jours après l'accouchement, la RDC bénéficie l'appui de plusieurs partenaires dont les Fonds de Nations-unies pour la Population (UNFPA) qui contribue à l'atteinte de 3 résultats transformateurs ; Mettre fin au décès maternel évitable, aux besoins non satisfaits en planification familiale et aux violences basées sur le genre et des pratiques néfastes.
Au Kasaï-Central, pour répondre aux besoins par rapport aux sages-femmes, UNFPA donne des bourses aux infirmiers qui veulent devenir des sages-femmes à travers son projet de « reconversion ».
« La reconversion, c'est un cursus qui donne à l'infirmier qui travaille déjà, la possibilité de rentrer à l'école de faire 18 ans et ressortir comme sages-femmes. Là, UNFPA donne des bourses aux infirmiers qui veulent devenir sages-femmes », explique Kunduma Marguerite, cheffe de bureau décentralisé de Kinshasa/UNFPA le 17 octobre 2022.
Il a même souligné que pour éviter le décès maternel, « il faut notamment travailler sur les ressources humaines de qualité en ayant les sage-femmes de qualité ».
Une des cibles de l’objectif de développement durable 3, est de faire passer le taux mondial de mortalité maternelle au-dessus de 70 pour 100.000 naissances vivantes.
Alain Saveur Makoba, à Kananga