À la fois homme d'affaires et gouverneur, Jean Bamanisa suit les orientations du chef de l'État congolais (RDC) tout en cultivant son indépendance. Et apprécie qu'on le compare à son très dynamique homologue du Katanga.
Avec une superficie équivalente à celle de l'Espagne et seize fois supérieure à celle de la Belgique, la Province-Orientale est la plus grande des provinces de RD Congo. Pourtant, elle a longtemps été oubliée des programmes de reconstruction nationale et peine à se développer.
Depuis qu'il a pris ses fonctions, début 2013, son gouverneur, Jean Bamanisa Saïdi, 50 ans, compte bien y remédier. Entrepreneur dans l'âme (il a créé sa première entreprise à l'âge de 21 ans), il mise sur le partenariat public-privé pour relancer l'économie.
Son « plan d'actions de développement » ne fait cependant pas l'unanimité au niveau national, au sein de la Majorité présidentielle (MP), où beaucoup lui reprochent sa double casquette de gouverneur et d'homme d'affaires. Surtout, bien que Bamanisa répète qu'il « partage la vision de développement du chef de l'État », de nombreux membres de la MP le considèrent comme un opposant.
D'une part parce que, après la démission « forcée » de son prédécesseur, Médard Autsai, il a été élu par l'Assemblée provinciale au détriment du candidat soutenu par le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, au pouvoir). Ensuite parce que son épouse, Caroline Bemba, est la soeur du leader du Mouvement de libération du Congo (MLC), sous l'étiquette duquel elle a été élue à l'Assemblée nationale en 2011...
Mais, si l'on veut déballer les « affaires de famille », pourquoi ne pas préciser, aussi, que la nièce de Bamanisa est mariée au demi-frère d'Olive Lembe Kabila, la première dame ?
Jeune Afrique : Vous vous êtes toujours présenté en candidat indépendant (aux législatives de 2006 et 2011, aux élections au gouvernorat en 2012). Quel est votre positionnement politique ?
Jean Bamanisa : Les clivages gauche-droite, opposition-majorité, tels qu'on peut les retrouver dans les vieilles démocraties, ne sont pas encore une réalité en RD Congo, un grand pays de plus de 70 millions d'habitants, avec une pluralité d'ethnies et de tribus, où nous avons besoin de la participation de tous.
Cela dit, je me suis toujours senti proche du président Joseph Kabila, qui semble avoir trouvé ces deux dernières années l'équipe et les hommes qu'il faut pour relancer le développement du pays. Au sein de la majorité présidentielle, je me reconnais davantage dans les idées du MSR [Mouvement social pour le renouveau, deuxième force politique de la majorité], même si je n'en suis pas membre.
Certains vous accusent de jouer double jeu, de ne pas vraiment être proche de la majorité, et vous reprochent d'avoir nommé ministre provincial une élue du MLC, parti auquel appartient votre épouse. Que leur répondez-vous ?
En nommant un membre de l'opposition au gouvernement provincial, nous avons été des précurseurs de l'ouverture politique en cours. Aujourd'hui, après les concertations nationales de l'an dernier, un gouvernement de cohésion nationale n'est-il pas attendu à Kinshasa ?
Trouvez-vous pertinent que l'on vous compare de plus en plus souvent à Moïse Katumbi, le gouverneur du Katanga ?
Si je peux apporter à la Province-Orientale autant qu'il a pu apporter au Katanga, j'en serai ravi. Moïse Katumbi, en tant qu'entrepreneur et que dirigeant, est un modèle dont la RD Congo a besoin. Un dirigeant qui ne vit pas sur le dos du Trésor public, mais qui apporte un esprit de développement et d'ouverture.
Quelles sont les retombées du forum des bailleurs de fonds que vous avez organisé en octobre à Kisangani ?
Nous avons voulu attirer l'attention des opérateurs économiques sur les diverses opportunités d'investissement qui se présentent chez nous. Car, il faut le reconnaître, la Province-Orientale était un peu oubliée ces dernières années. L'État n'ayant pas les ressources suffisantes pour réaliser ses projets, notre politique consiste à constituer un portefeuille propre du gouvernement provincial : concrètement, nous voulons créer des entreprises dans le cadre de partenariats public-privé [PPP], afin d'attirer les bailleurs de fonds.
Ainsi, nous avons commencé par racheter à l'État l'ex-complexe sucrier de Lotokila et, bientôt, Codenord, l'ex-usine de traitement de coton, dans le Bas-Uele. Nous allons également créer des entreprises de préservation de la forêt, pour une gestion saine des ressources forestières de la province [dont la moitié de la superficie est couverte par la forêt équatoriale]. Le PPP s'étendra à d'autres domaines, en particulier aux infrastructures routières, selon le principe de BOT [build, operate, transfer, équivalant à une délégation de service public].
Enfin, une plateforme logistique verra le jour à nos frontières, notamment à Aru, Mahagi et Kasini : plutôt que d'aller à Dubaï ou à Hong Kong pour acheter des marchandises, les entrepreneurs présents dans notre province pourront s'approvisionner dans de grands dépôts que nous installons sur ces sites, et qui seront aussi les points de sortie de nos matières premières (or, bois, coton, café).
Où en est la rétrocession de 40 % des recettes de l'État aux provinces, prévue par la loi de décentralisation ?
Jusqu'ici, nous n'avons bénéficié que de moins de 1 % de nos crédits d'investissement, ce qui ne nous a évidemment pas permis d'atteindre un grand nombre de nos objectifs. Nous rappelons au gouvernement central que nous sommes ses bras...
Pourriez-vous être candidat à l'élection présidentielle de 2016, ou intéressé par un portefeuille dans le gouvernement central ?
Je ne serai candidat qu'aux élections provinciales et ne suis pas preneur d'un ministère à Kinshasa. Et si on me nomme, je dirai non, car j'estime que j'ai encore une mission à poursuivre dans ma province.