En quoi le dialogue politique est-il important ?

Mardi 26 mai 2015 - 12:29

La problématique du dialogue politique domine les échanges et les cogitations dans des cercles de divers ordres. Ce, à la faveur de la tournée médiatisée de l’émissaire du Chef de l’Etat dans l’univers de l’opposition politique congolaise. En réaction à cette initiative, certains opposants y consentent sous quelques conditions tandis que d’autres y ont d’ores et déjà réservé une fin de non recevoir. Il me parait judicieux d’examiner le fondement de ce dialogue politique auquel l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et plusieurs Résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU (2098, 2147, 2211) ont conféré un caractère solennel. Ce, en vue d’en ressortir l’angle d’importance.

La politique, intérieure comme internationale, est très loin d’être l’Armée du salut. Tous les coups sont possibles, même en-dessous de la ceinture. La ruse à la Florence continue à émailler la marche vers la conquête et la conservation du pouvoir. De ce fait, la confiance relève généralement de la naïveté. A moins de disposer, dans la pratique politique, des garde-fous éthiques et juridiques efficaces qui font souvent défaut dans des pays moins démocratiquement avancés. Dès lors, l’initiative du Président de la République peut, à juste titre, susciter non sans raison de la suspicion dans les rangs de l’opposition. Mais, cette dernière aura tort de n’envisager que cette seule hypothèse alors qu’elle a longtemps plaidé pour l’organisation de ce dialogue. L’usure du temps suffit-elle pour justifier cette volteface ? Je pense que ceci procède de la communication paradoxale dans laquelle chaque protagoniste cherche à comprendre son interlocuteur non pas sur la base de ses propos et gestes mais plutôt des intentions qu’on lui prête. La pertinence du dialogue politique est, au regard du logiciel de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et des Résolutions du Conseil de sécurité, fonction moins des considérations de la politique congolo-congolaise que de la dynamique régionale axée sur la restauration et la consolidation de la paix et de la sécurité dans l’Afrique des Grands Lacs.

Le fardeau de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba …

Avoir posé l’Accord-cadre comme le substrat de l’organisation du dialogue politique en RDC est grave de conséquences. Car c’est reconnaitre la légitimité et la convenance de l’idée véhiculée dans ce document, consistant à incriminer la RDC en la présentant comme le pays responsable de l’instabilité régionale, mieux comme la racine du mal dont souffre la région. Plutôt que de soumettre tous les Etats de la région aux mêmes obligations en vertu du principe juridique de leur égalité souveraine, force est de constater que la RDC est la seule entité étatique à laquelle des obligations de remodelage infrastructurel de l’Etat ont été soumises. Comme si les autres pays de la région avaient déjà atteint un niveau potable de démocratie et de développement pour les en exempter. Ceci ne saurait aucunement être pris à la légère. Car, si la diplomatie congolaise a cautionné la confection de cet accord comme tel pour témoigner de sa ferme volonté de ne ménager aucun effort pour défendre la cause de la paix, ceci oblige la RDC à relever des défis énormes pour disqualifier l’idée suivant laquelle a été produit le plan de rétablissement de la paix et de la sécurité régionales. Ce, en conférant aux « autres » le droit de coter ses propres performances suivant des grilles de lecture parfois différentes de la sienne.

Rappelons qu’au titre de cet accord, la RDC est singulièrement tenue de « continuer et approfondir les réformes du secteur de la sécurité, en particulier en ce qui concerne l’armée et la police ; consolider l’autorité de l’Etat, en particulier dans l’est de la République démocratique du Congo, y compris en empêchant les groupes armés de déstabiliser les pays voisins ; promouvoir le développement économique, y compris au sujet de l’expansion des infrastructures et de la fourniture de services sociaux de base ; promouvoir la réforme structurelle des institutions de l’Etat, y compris la réforme des finances ; et promouvoir les objectifs de réconciliation nationale, de tolérance, et de démocratisation ». Il s’agit d’une discrimination dont la RDC a accepté bon gré mal gré d’être la victime. A la classe politique de ne pas concéder ni renforcer le crédit de la thèse ainsi évoquée. Ceci ne suffira peut-être pas pour redonner à la RDC le prestige auquel elle aspire tant au niveau régional ; il lui permettra cependant de construire une identité susceptible de lui éviter le tort que les « autres » pourraient savamment utiliser à des fins néfastes.

Les résolutions du Conseil de sécurité …

A la suite de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et des Résolutions 2098 et 2147, la 2211, adoptée en mars dernier, réitère l’idée de « (…) un dialogue politique transparent et sans exclusive entre toutes les parties prenantes congolaises en vue de favoriser la réconciliation et la démocratisation, et protéger les libertés fondamentales et les droits de l’homme, afin d’ouvrir la voie à la tenue d’élections … ». Ce, avant d’inviter sans équivoque « toutes les parties prenantes à engager un dialogue politique ouvert sur les préparatifs des élections à venir, conformément à la Constitution ». Pourquoi après avoir longtemps évoqué ces dispositions pour exiger la tenue du dialogue politique, l’opposition se retracte-t-elle en violation des mêmes dispositions, notamment la dernière ? A voir de loin, ceci pourrait être perçu comme une preuve de mauvaise foi ou d’illogisme de la stratégie de cette opposition. Il se peut qu’il s’agisse de la peur d’être menée en bateau et, partant, de perdre toute crédibilité auprès de ses militants dans un contexte préélectoral. Si tel est le cas, plutôt que de repousser sur un ton de fermeté la proposition du Chef de l’Etat contrairement à l’UDPS, le MLC, l’UNC et consorts auraient mieux fait d’exiger des garanties de transparence et de sincérité pour ne pas faire inconsciemment le jeu des ennemis du Congo. L’UDPS a, à ce sujet, réclamé la présence d’une tierce partie, en l’occurrence celle du Représentant spécial du SG de l’ONU. Rappelons que son rôle consisterait, selon les termes de ces Résolutions, à assurer la facilitation (les bons offices) c’est-à-dire à créer les conditions de rapprochement des parties concernées en vue de se parler et de résoudre le différend qui les oppose. Le facilitateur n’est nullement partie prenante aux échanges. Dès que le rapprochement des parties est rendu possible, il est censé s’éclipser. C’est dire que le Conseil de sécurité, en prévoyant les bons offices comme modalité d’intervention du Représentant spécial sur cette question, laisse les Congolais laver leurs linges sales en famille. Un test de maturité politique dont les résultats ne seront certainement pas dépourvus de conséquences.

Le devoir de rassemblement …

L’importance de ce dialogue tient donc à l’impérieuse nécessité de sauver la RDC des risques d’une longue prolongation de sa mise sous perfusion. En effet, la Résolution 2211 met en lumière une perception de l’état de santé de la RDC contraire à la rhétorique gouvernementale selon laquelle le pays de Joseph KABILA est à nouveau débout. C’est en vertu de cette conception que le Conseil de sécurité n’a pas acquiescé le retrait du territoire congolais d’un nombre substantiel des casques bleus, comme l’avait réclamé à cor et à cri l’Exécutif congolais. C’est dire que les Congolais doivent absolument veiller à l’amélioration de la santé de leur pays car il y va de leur responsabilité première et ultime. Parler du dialogue politique doit donc consister à ne mettre que « la RDC » au cœur des échanges. Refuser d’y participer constitue une monumentale erreur. En détourner l’objectif à des fins personnalisées serait un gravissime péché contre le relèvement de l’Etat congolais. La recherche patriotique du compromis pour la sauvegarde de l’intérêt commun des Congolais demeure le défi à relever, comme s’évertuent à le faire les Républicains et les Démocrates américains lorsqu’il s’agit de l’intérêt de leur patrie. La méfiance et la peur, du reste légitimes, sont des obstacles et non des moindres à surmonter pour un dialogue constructif. Ceci requiert des gages de respect mutuel.

C’est au Président de la République, Garant de la Nation, qu’incombe la responsabilité de persuader la classe politique de l’utilité de ce dialogue dont la portée ne saurait se limiter à la question électorale. En effet, la léthargie qu’accuse le Comité de suivi de la mise en œuvre des Résolutions des Concertations nationales ainsi que la lancinante attente de la mise en place du Gouvernement de cohésion nationale, contribuent à justifier l’incrédulité constatée dans certains milieux de l’opposition. Le rassemblement de la classe politique, sans illusion à la formation d’un gouvernement d’union nationale, reste nécessaire à la véritable cohésion nationale en vue de sauver la RDC du danger de la noyade sécuritaire face aux nombreux risques de tsunami qui menacent le pays. Le dialogue politique ne doit pas constituer sous quelque forme que ce soit l’occasion de canaliser les ambitions politiques des uns et des autres. Ceci requiert de hisser très haut le débat politique pour ne pas cristalliser la division sur la responsabilité des uns et des autres sur l’état de la nation. Le rassemblement autour de l’ambition de sauver la RDC pourrait rendre quelque peu aisée la déclinaison des dispositions de divers ordres qui s’imposent à cet effet, au regard de la Constitution et des moyens disponibles ou susceptibles d’être disponibilisés en tout réalisme pour toute opération utile. En effet, quand on n’a pas les moyens de sa politique, le bon sens recommande de faire la politique de ses moyens.

Face aux nombreuses revendications se rapportant notamment au format ou au timing de ce dialogue, la volonté politique me paraît la clé du succès. Car, comme le fait si bien remarquer Albert Camus, « le chemin importe peu, la volonté d’arriver suffit à tout ». Pour faire échec aux manœuvres des pantins à la solde des forces occultes internes et externes au dessein machiavélique, l’intelligence stratégique s’impose dans cette aventure. L’affirmation de la crédibilité de la RDC dépend de ce dialogue politique.

Martin ZIAKWAU

LEMBISA

Chercheur en Relations Internationales/ CT à l’IFASIC