Dr Mukwege en appelle à un nettoyage de l’industrie minière pour espérer rétablir la paix en RDC

Jeudi 30 avril 2015 - 09:04

Le Dr Denis Mukwege a publié en date du 22 Avril 2015 un article dans l’éditorial du célèbre journal américain New York Times. Cette publication qui est un plaidoyer en faveur de la paix en RD-Congo a été reprise par des organes importants sur le plan international comme Financial Times, Reuters, BBC, Bloomberg, International Business Times. Cette prise de position importante dont le monde entier parle intervient à juste titre comme une opinion rd-congolaise avant le vote des Eurodéputés sur les minerais de conflits.

‘’De 1996 à 2003, mon pays, la République Démocratique du Congo, a connu une guerre civile qui a fait plus de cinq millions de morts. Il y a eu plus de victimes dans ce conflit que dans tout autre conflit sanglant que le monde a connu depuis la Deuxième Guerre mondiale. Durant la décennie qui a suivi le cessez le feu, les différents groupes rebelles, restés actifs au Congo, ont traité le corps des femmes comme un champ de bataille, en utilisant la violence sexuelle comme arme.

L'Hôpital de Panzi à Bukavu, que j’ai créé en 1999, a jusqu'à ce jour soigné autour de 40 000 survivantes de viols liés aux conflits; que l’Hôpital recevait chaque jour.
Les patientes présentaient des traumatismes tant physiques que psychologiques. Dans mon rôle de chirurgien, je fais de mon mieux pour soigner leurs corps et apaiser leurs âmes.

Ce conflit dans lequel sombre la RDC depuis à peu près deux décennies a une dimension internationale. En effet, un nombre important des groupes rebelles qui opèrent au Congo, sont soit constitués des originaires ou ont des liens étroits avec les pays voisins africains qui comptent sur la vente mondiale des minerais du Congo, y compris l'or, l'étain et le coltan. Autour de l’année 2001, le commerce de ceux-ci et d'autres ressources minérales, dont dépend la fabrication et le fonctionnement des téléphones cellulaires et ordinateurs portables, a joué un rôle énorme dans le maintien de ces réseaux criminels. Le Service international de la paix et de l'information a récemment découvert que les groupes armés étaient présents dans 54% des mines de l'Est du Congo.

Procéder à un nettoyage de cette industrie, dont dépend également des centaines de milliers de mineurs légitimes au Congo, est essentiel pour espérer rétablir la paix. Le rapport publié mercredi par Global Witness et Amnesty International clarifie le fait qu’il y a encore beaucoup à faire pour s’assurer que les entreprises ne profitent pas de la vente de minerais qui financent des groupes violents au Congo ou ailleurs.

Le Congrès américain avait pris une mesure positive en 2010, en demandant à toute société reconnue aux Etats-Unis (américaine ou internationale) qui utilise les minerais dans leur production ou leurs produits, d’enquêter sur leur achat. Ces sociétés étaient tenues de déclarer chaque année, à partir de 2014, les résultats de leurs enquêtes à la Security and Exchange Commission (SEC), et de publier leurs rapports en ligne.

Certaines sociétés ont depuis fait plus d'efforts, en envoyant des équipes visiter les mines et les fonderies où les minerais sont extraits et traités, et d'agir par rapport aux résultats trouvés. À partir de l’année 2010, Apple s’est efforcé à faire la cartographie de sa chaîne d'approvisionnement jusqu’au niveau des fonderies. En Janvier 2014, Intel avait fait la une des manchettes avec son annonce que ses microprocesseurs étaient issus de matière première hors de zone de conflit. Les compagnies électroniques telles que Intel et Hewlett Packard, ont, face à une pression croissante des consommateurs, pris des mesures pour identifier les sources des minerais qu'ils utilisent. D'autres ont fait le contraire, se cachant derrière des associations des industriels, tels que l'Association Nationale des Manufacturiers et la Chambre de Commerce des États-Unis pour contester la loi devant les tribunaux.

La vie des congolais ; hommes, femmes et enfants est directement affectée par le commerce des minerais de conflits. L'impact de la législation, la bonne gouvernance, et la surveillance est un élément essentiel pour le respect de la vie de simples citoyens, mais aussi des mineurs artisanaux qui sont négativement affectés par un commerce qui est indûment influencé par les rebelles, des criminels et autres mauvais acteurs.

L'année dernière, quelques 1.321 entreprises ont complété leurs premiers rapports des minerais qui constituent leur matière première auprès de la SEC Global Witness et l'analyse d'Amnesty International sur les minerais de conflit, rapports présentés par 100 de ces entreprises, dont plusieurs grandes entreprises américaines. Les résultats restent très mitigés. Si on considère leur échantillon de 100 entreprises, quatre-vingt-cinq pour cent n’avait pas contacté les fonderies ou les raffineurs qui ont traité leurs minerais; seulement 16 pour cent ont dit qu'elles savaient d’où les minerais qui constituent leur matière première provenaient. Les résultats montrent que la plupart des entreprises ont des « angles morts » dans leurs chaînes d'approvisionnement, et ne sont pas conscientes du fait que leurs produits contiennent des minerais qui ont financé des conflits.

Ceci est inacceptable. La deuxième série de rapports sur les minerais de conflit, qui devrait être déposé en Juin, doit indiquer que des mesures sont prises pour matérialiser ce droit.

La S.E.C. peut sanctionner les entreprises qui omettent de produire des rapports de minerais, ou qui produisent des faux documents. Les investisseurs et les consommateurs peuvent exercer une pression sur la SEC à s’assurer que les entreprises se soumettent à cette loi dans son intégralité; ceci est une étape que chacun de nous peut prendre. Un décret adopté en Juillet pourrait également être invoqué pour sanctionner les individus et les entreprises qui fournissent un soutien aux groupes armés en RDC "à travers le commerce illicite des ressources naturelles."

D’année en année, pendant que les entreprises continuent leurs investigations, les investisseurs et les consommateurs devraient être en mesure de voir une amélioration significative de leurs conditions.

La communauté internationale commence à sentir la nécessité de tenir les entreprises à rendre compte de leur rôle. L'année dernière, la Chine a adopté des lignes directrices pour ses sociétés minières opérant à l'étranger, y compris les mesures visant à promouvoir une diligence raisonnable tout au long de la chaîne d'approvisionnement.

L'Union européenne, elle aussi, est en train de travailler sur une réglementation sur les minerais provenant de zones de conflit ou zones à haut risque. Le projet de loi n’affecte qu’une petite frange des sociétés qui importent quatre minerais essentiels en Europe, leur demandant de s’approvisionner desdits minerais de façon responsable et transparente. Malheureusement, la réglementation est volontaire. Les consommateurs et les investisseurs doivent se faire entendre, étant donné que le Parlement européen votera cette réglementation le mois prochain. Des modifications peuvent et doivent être faits pour renforcer les règlements et rendre le respect de cette loi obligatoire pour un large éventail d’entreprises européennes.

Une industrie des minerais hors de conflit ne bénéficierait pas seulement au peuple congolais et la communauté internationale en mettant fin à l'impunité dans le commerce des minerais, mais elle contribuerait aussi à mettre fin aux violences indicibles que les femmes et jeunes enfants ont enduré. Les outils législatifs nécessaires pour aider à faire de cela une réalité, sont disponibles pour les décideurs internationaux, mais ils doivent être adoptés et appliqués. Les entreprises doivent mener des enquêtes rigoureuses et honnêtes de leurs chaînes d'approvisionnement, rendre compte publiquement de leurs conclusions, et agir sur les résultats afin de s’assurer que leur argent - et le nôtre- ne finit dans les poches de rebelles violents. S’ils ne sont pas disposés à le faire, les gouvernements doivent adopter une position ferme, et les contraindre à agir.

Dr Denis MUKWEGE Mukengere, gynécologue
Médecin directeur de l'hôpital de Panzi et Président de la Fondation Panzi/RDC

 

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