Le 14 décembre 2015, le chef de l’Etat, Joseph Kabila Kabange, est sorti du bois en révélant, à travers le volet politique de son discours, ses vraies intentions par rapport à l’attitude négative de la classe politique au sujet du dialogue politique national inclusif. Etienne Tshisekedi y est pour beaucoup, commente-t-on dans les milieux diplomatiques. En s’ouvrant au dialogue, tout en restant intransigeant sur ses préalables, le leader de l’UDPS est parvenu à faire tomber les masques d’une Majorité obsédée par l’aboutissement d’une initiative dont elle est la seule à détenir le secret. Il a poussé Kabila à s’en prendre à la communauté internationale: Nations unies, Occident et Orient. Mission accomplie pour Etienne Tshisekedi!
Entre le message du chef de l’Etat du 28 novembre 2015 convoquant le dialogue et son discours sur l’état de la nation, lundi 14 décembre, devant le Parlement réuni en congrès, il y a eu bel et bien un grand décalage. Conciliant le 28 novembre 2015, Kabila est paru plutôt menaçant devant le congrès.
Joseph Kabila a usé d’un ton sec pour recadrer tous ceux qui s’opposent à « son » dialogue. « Je ne permettrai pas que les sacrifices consentis ensemble au cours de ces dernières années pour bâtir la paix et la sécurité dans notre pays et dans la région, balisant ainsi la voie vers l’émergence, soient compromis, sous quelque prétexte que ce soit, par ceux qui, de mauvaise foi et de manière délibérée, choisiront de rester enfermés dans leurs postures négativistes, refusant le dialogue au profit des complots contre la République et promettant sang et sueur à notre peuple ».
Le chef de l’Etat nourrit de grandes ambitions autour du dialogue. Pour l’instant, on n’en connaît pas encore les contours. Toujours est-il que, lundi devant le congrès, Joseph Kabila a réaffirmé son attachement au projet qu’il considère comme le passage obligé pour des élections crédibles et apaisées. Selon lui, à défaut du dialogue, la RDC s’expose à un chaos généralisé. D’où tiendrait-il de telles convictions? Mystère.
Il faut cependant reconnaître que Kabila a pris du temps pour se dévoiler. Qu’il soit arrivé à sortir du bois laisse transparaître l’intervention de l’UDPS.
DÉCRYPTAGE
A première vue, le lider maximo de l’UDPS a pesé de tout son poids en désorientant sérieusement la stratégie de la MP aussi bien dans le format que dans l’ordre du jour.
Il connaissant l’agenda caché de son vis-à-vis, notamment le glissement, toutefois, il a joué le jeu. Il a laissé la MP positionnant l’UDPS comme le pion majeur dans la mise en œuvre du projet de dialogue. Or sans le savoir, la MP compromettait les chances de réussite de son initiative en prenant Etienne Tshisekedi pour un naïf.
Défaut d’approche, car l’UDPS ne s’était jamais départie de grandes lignes de son cahier des charges, notamment la résolution du contentieux relatif à la présidentielle de 2011. dès lors, il était peu imaginable que celle-ci s’empresse à offrir à Joseph Kabila sur un plateau d’or l’opportunité de poursuivre un mandat qu’elle lui a contesté depuis la publication officielle des résultats par la Ceni. La MP a minimisé la réclamation toujours renouvelée de l’impérium par l’UDPS.
L’autre donne que la Majorité n’a pas prise en compte en cherchant à embrigader Etienne Tshisekedi dans son schéma, c’est accord d’Addis-Abeba que l’UDPS a toujours considéré comme fondement du véritable dialogue.
En tripatouillant sur l’esprit et la lettre de cet accord dans son ordonnance du 28 novembre 2015 convoquant le dialogue, le chef de l’Etat a scié l’arbre sur lequel il était censé asseoir la légitimité de son initiative. Il a prêté le flanc à l’UDPS qui a saisi au vol l’argument dont elle avait besoin pour justifier sa non-participation au dialogue. Du coup, Joseph Kabila s’est trouvé bloqué.
Il ressort de ce jeu subtil que Tshisekedi a poussé Kabila jusqu’au bout de sa logique. Dans les faits, il a gagné son pari. Sa plus grande victoire est d’avoir réussi à faire sortir Kabila du bois en le poussant à se dévoiler au grand public, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
Lorsque le chef de l’Etat clame tout haut que « ce n’est pas non plus des Nations unies, de l’Orient ou de l’Occident que viendront les solutions à nos problèmes », il montre qu’il pourrait se passer de la communauté internationale qui est présente dans ce processus par la voie de Saïd Djinnit. Envoyé spécial de Ban Ki-moon dans les Grands Lacs, ce dernier a vu ses bons offices souffrir des attitudes versatiles de principaux protagonistes. En narguant tout le monde, Joseph Kabila s’est mis la corde au cou, rétrécissant ainsi ses marges de manœuvre.
LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE A RÉUSSI SON COUP
A y regarder de très, Joseph Kabila et Etienne Tshisekedi ont été manipulés à leur insu par la communauté internationale. En s’acharnant contre l’attitude de l’Opposition, Tshisekedi en tête, le chef de l’Etat a paru comme quelqu’un blessé dans son amour propre. Aussi n’a-t-il pas pu se retenir. Il s’est servi de son adresse à la nation, le lundi 17 décembre 2015, pour monter sur ses grands chevaux, dévoilant, à l’occasion, son agenda caché derrière le dialogue.
En réalité, la communauté internationale s’est servie de Tshisekedi, dont l’intransigeance est légendaire, pour soit noyauter le dialogue ou l’organiser conformément à la lettre et l’esprit de l’accord- cadre d’Addis-Abeba.
Dans la Majorité, l’on ne pouvait pas imaginer que l’UDPS ferait marche-arrière. Son communiqué du 1er décembre 2015, signé depuis Bruxelles, a sonné comme un couperet. Si bien que le tout bouillant Lambert Mende, porte-parole du gouvernement, n’a pas pu se retenir dans sa dernière conférence de presse. Devant les professionnels des médias, Mende a fait part de graves « contradictions» de l’UDPS.
S’il y a contradictions comme l’a présenté Mende – cela suppose qu’il y a eu auparavant de garanties que l’UDPS n’avait pas pu honorer. « Est pris qui croyait prendre », est-on tenté de dire. « A malin, à malin et demi », rappelle une autre sagesse.
A tout prendre, Tshisekedi a réussi son coup, en amenant Kabila à la faute.
Et la communauté internationale a gagné son pari. Mais, il reste encore une inconnue. C’est Kabila. Il croyait berner tout le monde en habillant son initiative, mais il a été vite rattrapé quand il n’a pas su se contenir. Dans son message du 14 décembre 2015, le chef de l’Etat n’a pas donné l’exemple d’un acteur qui joue à l’apaisement. Comment peut-on s’engager dans un processus dès lors qu’un acteur principal veut embrigader tout le monde. Une entorse sur la voie du dialogue.
Que nous réserve-t-il dans les tout prochains jours ? L’année 2016 s’annonce difficile. L’incertitude est telle qu’on ne peut pas prédire le lendemain. La communauté internationale, Tshisekedi, Kabila seront des acteurs clés pour 2016, une année charnière au cours de laquelle tout va se jouer, soit pour le chaos, soit pour l’organisation des élections apaisées devant déboucher sur l’alternance au sommet de l’Etat.
Par LE POTENTIEL