De Bruxelles (janvier 1960) à Sun City (décembre 2002) – RDC : tout dialogue mène au partage des postes

Mercredi 25 novembre 2015 - 10:53

Le dernier verrou qui bloquait la participation de l’UDPS (Union pour la Démocratie et le Progrès Social) d’Etienne Tshisekedi et de plusieurs partis de l’Opposition au Dialogue national a sauté le week-end dernier. Présenté comme le principal obstacle à une médiation internationale exigée par ces formations politiques, Joseph Kabila a lâché du lest en proposant, dans une lettre adressée au Secrétaire général des Nations Unies, un chapeau de quatre noms (Kofi Annan, Dos Santos, Moustapha Niasse et Saïd Djinnit) dans lequel ce dernier pourrait tirer la personnalité appelée à réunir les forces politiques et sociales congolaises autour d’une même table. Le menu du jour est archiconnu : le processus électoral.

 

Mais, une vieille tradition inaugurée en 1960, avec la Table Ronde de Bruxelles (janvier-févier 1960) veut que chaque fois que les Congolais sont appelés à résoudre une crise qui menace la survie de leur patrie, ils finissent par le partage des potes de responsabilités à divers : niveaux : gouvernement, parlement, entreprises publiques, diplomatie, magistrature, territoriale, armée, police, services de renseignements, etc. Les archives nationales renseignent que ce fut le cas avec les « pères de l’indépendance » à leur retour de Bruxelles, des « frères ennemis » congolais après la Conférence de Lovanium en 1961, de la Conférence Nationale Souveraine en 1992, du Conclave des Mobutistes et leurs alliés débauchés de l’Opposition en 1993, de l’association momentanée entre Mobutistes et dissidents de l’Union Sacrée en 1994 (3me Voie), du Dialogue Intercongolais en 2002 et, dernièrement, les Concertations nationales en septembre-octobre 2013.

 

Le sentiment général, chez les Congolais, est que le Dialogue national en gestation va être une nouvelle occasion, pour les leaders des forces politiques et sociales, de se partager des postes de gestion, avant la tenue d’élections qui ne pourraient s’organier dans les délais constitutionnels. Un coup d’œil dans le rétroviseur du passé suffit pour se convaincre que la tradition ne va pas être démentie.

 

Kasa-Vubu président … Lumumba 1er ministre

 

Aussitôt après l’obtention, par les délégués congolais, de l’accord de la Belgique pour l’indépendance et la fixation de la date de la passation des pouvoirs (30 juin 1960), les leaders politiques étaient revenus en catastrophe au pays pour des tractations concernant l’élection du Président de la République au Parlement (seconde degré), la formation du gouvernement, la répartition des sièges au Parlement.

 

En conséquence, ils avaient laissé aux étudiants et petits commis la lourde charge de débattre du « Portefeuille » du futur Congo indépendant, dans le cadre de la Conférence économique. Non outillés pour les dossiers économiques, les pauvres représentants de Kasa-Vubu, Lumumba, Bolikango, Kamitatu, Tshombe, Kalonji Ditunga et autres s’étaient fait rouler dans la farine. Les dividendes politiques que chacun d’eux escomptaient tirer de sa participation à la Table ronde, c’était le gain de plusieurs portefeuilles ministériels et sièges au Parlement.

 

Conférence de Lovanium : Gouvernement Adoula

Au lendemain de l’indépendance, le Congo entre dans une zone de fortes turbulences marquée par la mutinerie de la Force publique (Armée nationale) en juillet 1960, la sécession du Katanga et du Sud-Kasaï en août, le coup de force du colonel Mobutu contre le président Kasa-Vubu (laissé tout de même à son poste) et le Premier ministre Lumumba en septembre 1960, l’assassinat du dernier cité en janvier 1961. Dirigé par des « Commissaires généraux » le pays est au bord du gouf&è. Resté en poste, le président Joseph Kasa-Vubu est obligé de faire appel aux troupes de l’ONU; pour sauver ce qui peut encore l’être.

 

Lumumba aussitôt disparu, une série de rencontres entre Congolais est amorcée, sous la médiation tantôt africaine, tantôt internationale, en vue de les réconcilier. Après les rendez- vous infructueux de Brazzaville, Tananarive et Mbandaka, celui de Lovanium sera le bon, avec la sortie du gouvernement Adoula en 1961. A cette étape, les portefeuilles ministériels sont largement partagés entre des délégués du pouvoir central à Léo (Kinshasa) et ceux d’anciens chefs rebelles (Gizenga, Gbenye, Soumialot) retranchés à Kisangani.

 

CNS : Tshisekedi Premier ministre

 

Sérieusement bousculé par la vague de la démocratisation en 1990, le maréchal Mobutu Sese Seko, crédité alors de 25 ans d’un règne sans partage à la tête d’un pays qui s’appelle encore le Zaïre, n’a d’autre alternative pour survivre politiquement que de prendre l’amère pilule d’une Conférence Nation le Souveraine (CNS), qui s’apparente au procès de son régime. Mis à mal par les « Forces Acquises au Changement », lâché par les principaux dignitaires du MPR/ Parti-Etat, il ne peut rien contre la « dynamique » de la salle, qui, aboutit à l’élection du Premier ministre Etienne Tshisekedi en août 1992, chargé de conduire une transition de 24 mois et de tenter de redresser économiquement le pays. L’Elu de la CNS » met en place un gouvernement de 21 ministres. Quelques « Conférenciers » triés sur 2.800 sont versés dans le Haut Conseil de la République (Parlement).

Mais avant que la CNS ne boucle la boucle, une grave divergence surgit entre Mobutu et Tshisekedi dans la mise en circulation de la coupure de « 5 millions de Zaïres », jugée par le Chef de l’Etat salutaire pour l’économie nationale mais suicidaire pour son Premier ministre. Le bras de fer s’achève par le limogeage du chef du gouvernement. Celui-ci est remplacé, un peu comme en 1960, par une équipe de Secrétaires généraux de l’Administration publique. Fermée précipitamment, la CNS voit ses « Résolutions exécutoires et opposables à tous » jetées dans sa poubelle.

 

Le Gouvernement Birindwa

 

Après avoir plié sans rompre durant les deux années cauchemardesques de la CNS, Mobutu rebondit en remettant en place son Conseil Législatif (Parlement) monocaméral et en initiant un Conclave ayant pour participants des Mobutistes et des dissidents de l’Opposition. Au terme des assises des FPC (Forces Politiques du Conclave) en 1993, un nouveau Premier ministre est élu Faustin Birindwa, ancien cadre de l’UDPS. Il forme un nouveau gouvernement composé des fidèles de Mobutu et de ceux que l’on appelait les « taupes » de l’Opposition L’ex-Zaïre est alors confronté au dédoublement des institutions, avec deux gouvernements (Tshisekedi et Birindwa) et deux Parlements (Haut Conseil de la République avec Mgr Monsengwo et Conseil Législatif avec Anzuluni Bemba).

 

Kengo Premier ministre

 

Après une année de confusion, Mgr Monsengwo finit par convaincre Mobutistes et Opposants de s’inscrire à une « 3me Voie » - synonyme de la liquidation du gouvernement de Tshisekedi et de celui de Birindwa au profit d’une nouvelle équipe ministérielle, dont la direction est confiée à Léon Kengo wa Dondo, mobutiste fiché opposant radical après la fin du monopartisme en avril 1,990 et pendant la CNS, mais transformé en opposant modéré au lendemain de ce forum. Son gouvernement est une symbiose de mobutistes et d’opposants ayant pris leurs distances vis-à-vis d’Etienne Tshisekedi.

 

Sun City : véritable « tombola nationale »

 

S’il y a dans ce pays, un forum qui n’avait rien à envier à une « tombola nationale », c’est bel et bien le Dialogue Intercongolais, organisé de février à décembre 2002 à Sun City, en Afrique du Sud. Le partage du « gâteau national » entre belligérants, opposition et société civile avait donné, au sommet de l’Etat, un monstre dénommé 1+4 (un Président et quatre vice-Présidents), une soixantaine de ministres et vice-ministres, un Parlement (Sénat et Assemblée Nationale) composé de tous les participants au Dialogue Intercongolais, quatre institutions d’appui à la Démocratie (Haute Autorité des Médias, Observatoire National des Droits de l’Homme, Commission Electorale Indépendante, Commission Vérité et Réconciliation), des quotas de mandataires publics, de gouverneurs de provinces, d’ambassadeurs, d’officiers de l’armée et de la police, de responsables des services de renseignements, etc.

 

Le Dialogue national va-t-il vraiment se terminer sans la mise en place d’un Gouvernement et d’un Parlement de transition, le partage de postes dans les entreprises publiques, la territoriale, la diplomatie... ? Beaucoup de Congolais sont dans le doute. Mais si tel est le cas, ce serait l’exception qui confirmait la règle.

 

KIMP