Aubin Minaku, Président de l’Assemblée nationale, a diligenté, dernièrement, une mission officielle en Ville et Territoire de Beni, en Province du Nord-Kivu, dans le but de recueillir des informations et de compatir avec les populations de ces entités terrorisées par des tueries d’une grave cruauté. A l’issue de la dite mission, des recommandations ont été faites au Gouvernement, entre autres, la prise en charge des rescapées, des victimes, des déplacés, des retournés, des réfugiées et des blessés de guerre et leurs dépendants ; le rétablissement urgent de la sécurité dans toute la zone sinistrée afin de permettre la reprise des activités socio-économiques ; la dotation de la PNC et des services de sécurité en moyens susceptibles de faciliter leur travail et leur mobilité. Ci-après, la rapport intégral de la mission.
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
ASSEMBLEE NATIONALE
2EME LEGISLATURE DE LA 3EME REPUBLIQUE
RAPPORT DE LA MISSION D’INFORMATION ET DE RECONFORT AUPRES DES POPULATIONS DE LA VILLE DE BENI ET DES AGGLOMERATIONS DU TERRITOIRE DE BENI VICTIMES DES TUERIES DU 02 AU 21 OCTOBRE 2014
NOVEMBRE 2014
- INTRODUCTION
- MUNEMBWE TAMUKUMWE, Questeur de l’Assemblée Nationale et Présidente de la délégation
- BALIKWISHA MULHONDI Juma
- NZEKUYE KABURABUZA François
- MWAKA BWENGE Arsène, Rapporteur
- MIGANDA MUSHUBANGABO Dieudonné
- PALUKU KISAKA YEREYERE
- PALUKU MALI’ISE MALISAWA
- MUGIRANEZA NDIZEYE Jules
- KAMBALE Omer
- KIRO TSONGO Grégoire
- MAELEZO ALABU Boris
- ADIRODU DJARI Wilson
- Organiser des réunions ;
- Descendre sur les sites des tueries ;
- S’incliner sur les tombes des victimes ;
- S’entretenir avec les rescapés, les témoins, les différentes couches de la population, les services publics et les autorités polico-administratives ;
- Rassembler et exploiter les documents (mémos et tracts) ;
- Proposer à l’Assemblée nationale des recommandations à faire parvenir au Gouvernement de la République afin d’éviter à l’avenir des tels événements sanglants.
- La courte durée de la mission au regard des étendues à sillonner, des témoins et rescapés à écouter et des entretiens avec les autres couches de la population ;
- L’insuffisance des moyens logistiques et financiers ;
- L’insécurité prévalant sur les sites à visiter.
- de la Constitutions de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, telle que modifiée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles.
- du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ;
- de la lettre ouverte à son Excellence Monsieur le Ministre National de l’Intérieur par le Conseil urbain et territorial de la jeunesse de Beni du 19 octobre 2014 ;
- des tracts jetés par les présumés ADF (assaillants) ;
- du mémorandum des partis politiques de l’opposition représentés à Beni du 20 octobre 2014 ;
- de la lettre du Groupe de chercheurs libres du Graben GCLG n° 023/CGL/Bbo/2013 du 20 octobre 2014 ;
- de la lettre de la Fondation Mamadou pour l’éveil de la conscience et l’amour de la patrie (FOMECAP-RDC) du 27 octobre 2014 ;
- de la lettre du centre de santé d’Enrigeti du 21 octobre 2014
- de la lettre de l’Hôpital général de référence Oicha (ECC-CECA 20) n°64/MD/HGRO/2014 du 21 octobre 2014.
- DU DEROULEMENT DE LA MISSION
- Nécessité de mettre en œuvre la parole du Chef de l’Etat donné en décembre 2013, consistant à procéder à la mutation des agents de l’Etat prestant depuis longtemps dans cette zone troublée et relèvement des officiers, des militaires et des policiers inefficaces ;
- Difficulté de se battre contre un ennemi non encore identifié, quand bien même il serait vaguement qualifié d’ADF ;
- Risque de généralisations allant dans le sens de faire porter la responsabilité des tueries, des pillages et des prises d’otages aux jeunes ou aux ressortissants de ces zones alors que la responsabilité pénale et civile est, par principe, individuelle ;
- Demande d’explications aux membres du Gouvernement et au Parlement sur cette espèce de relâchement observé dans les opérations Sokola I au lendemain de la mort inopinée du Général Jean-Lucien BAHUMA ;
- Non-paiement de la solde des certains militaires se trouvant au front et quelques problèmes récents observés dans la logistique militaire ;
- Problème d’incohérence dans le commandement de plusieurs unités se trouvant sur le terrain ;
- Politique d’encadrement des jeunes et des victimes de l’invasion dans les zones d’incursion ;
- Immobilisme ou inaction de la MONUSCO face aux tueries alors que ses éléments sont postés non loin des lieux des drames a été ainsi interprété par la population comme une complicité ;
- Tracasseries militaires et policières par le fait de l’absence du cantonnement de ces éléments et du non-paiement de la solde ;
- Non-entretien des routes alors que le FONER perçoit beaucoup d’argent quant à ce ;
- Les membres des comités de sécurité d’Eringeti, de la Cité d’Oïcha, du Territoire de Beni et de la Ville de Beni ;
- Les comités de la société civile d’Eringeti, d’Oïcha et de Linzosisene ;
- Les médecins du centre de santé de référence d’Eringeti ;
- Les témoins et les rescapés des massacres ;
- Les associations des jeunes et les comités des étudiants ;
- Les motards ;
- Le FEC, et
- Les partis politiques.
- Il ressort des entretiens les constats ci-dessous :
- Plus de 80 personnes ont été massacrées en l’espace de trois semaines, soit du 2 octobre au 20 octobre 2014. Quelques tueries ont été déplorées alors que la délégation séjournait encore à Beni et le nombre a continué à croître quelques jours après.
- Plusieurs disparus et kidnappés non encore dénombrés ne sont pas retournés ;
- Les tueries, d’une rare cruauté, ont été perpétrées aux confins des agglomérations et des Villes entre 18 heures et 20 heures 30 ;
- Les assaillants opéraient à l’aide d’armes blanches (machettes, haches, marteaux, couteaux, houes) ; de grosses pierres et d’armes à feu ;
- Les assaillants étaient habillés en uniformes militaires, en soutanes, et certains étaient déguisés en femmes (pagnes, blouses et foulards) à Ngadi ;
- Ils s’exprimaient en langues identifiées par les rescapés comme le kiswahili, le kiganda et kinyarwanda ;
- Les tueries étaient perpétrées non loin des positions des FARDC et de la MONUSCO ;
- Les victimes ont été principalement les populations et quelques éléments des FARDC hantant la cité ;
- Aucun assaillant n’a été capturé, un seul a été abattu par un élément des FARDC habitant le quartier Ngadi, en Ville de Beni mais son corps a été vite récupéré par ses pairs. Un vaillant militaire FARDC Sergent de son état et époux de dame Jeanne Bahati, blessé par les assaillants, a rendu l’âme à l’hôpital général de Référence de Beni.
- Ces assaillants tuaient et pillaient (chèvres, poules et vivres) en même temps ;
- Ils étaient localisés non loin des agglomérations (plus ou moins 5 km) et opéraient le long de la route nationale numéro quatre ;
- La population est sinistrée : déplacements massifs, écoles fermées servant d’abris aux déplacés, centres de santé et hôpitaux en difficulté de renouvèlement de leur stocks de médicaments suite au non-paiement des factures des soins de militaires et de leurs dépendants, paralysie et/ou arrêt des activités de commerce, de champs, etc.
- Il s’observe une superposition des unités et une multiplicité de services de sécurité dans la région des massacres. C’est le cas des 1003ème et 1007ème Régiments qui, dans la confusion qui a accompagné le massacre d’Eringeti dans la nuit du 17 au 18 octobre 2014, ont été amenés à se tirer dessus alors que la population était livrée au massacre ;
- Tous les services publics, les autorités polico-administratives ainsi que les populations affirment que les informations faisant état de l’imminence d’attaques par des forces négatives étaient données à qui de droit au moment opportun, sans que des dispositions ne soient prises ;
- A chaque attaque, l’intervention des services de défense et de sécurité venaient tardivement ;
- A certains endroits, des personnes censées coordonner les actions de protection des populations n’ont pas joué leur rôle. C’est le cas de l’Officier de permanence du Centre de Coordination des opérations (CCO) dans la nuit du 8 au 9 octobre 2014 à Oïcha. C’est aussi le cas du Commandant second de la PNC à Beni qui a fermé les deux numéros verts offerts et alimentés gracieusement en crédits par la MONUSCO ;
- Absence de collaboration du commandement des FARDC avec la population ;
- Crise de confiance entre les services de sécurité, les autorités polico-administratives et la population. La population estime que les servies de sécurité ne transmettent pas à temps les informations qu’elle livre afin de prévenir les attaques, alors qu’interrogées, ces autorités affirment bien faire leur travail, les actions à mener étant dévolues à la PNC et aux FARDC ;
- Crise de confiance entre la population et l’actuel Commandant des opérations Sokola I. Cette absence de crédit aux yeux de la population est présentée comme le fait :
- Crise de confiance entre la population et la MONUSCO accusée à tort ou à raison de passivité et/ou de complicité avec l’ennemi ;
- Crise entre la population et la PNC pour non intervention ;
- Non-paiement de la solde de certains militaires au front pendant trois mois entrainant découragement et tracasseries de tous genres ;
- Insuffisance des moyens matériels, humains, et financiers empêchant la PNC de bien faire son travail dans une zone opérationnelle ;
- Mauvaise gestion des personnes démobilisées des groupes armés ;
- Possible renforcement de l’ennemi en homme et en matériel ;
- Problème de gestion des entités déconcentrées étant donné que l’Administrateur de Territoire et, les Chefs de groupement, les chefs de quartiers, les chefs des avenues et des cellules dont les dépenses émargent au budget du pouvoir central n’ont pas de moyen pour leur travail ;
- Perte du contrôle des entités administratives décentralisées et les entités déconcentrées par l’autorité de l’Etat ;
- Présence de certaines unités militaires indépendantes du commandement local et de la Région militaire ; et
- Mouvements massifs des populations en provenance principalement du Territoire de Masisi en destination de Boga (Irumu) en Ituri, à Erigenti et à Kainama au Nord-Kivu. Ces mouvements migratoires accentués sont diversement interprétés par les populations tant au Nord-Kivu septentrional qu’en Ituri en Province Orientale.
- La panique, la peur et l’incertitude qui ont gagné les agglomérations et les villes endeuillées exposent les populations à la méfiance, à la rumeur et à l’intoxication ;
- Le chômage et principalement celui des jeunes constitue un des facteurs d’alimentation des mouvements armées.
- RECOMMANDATIONS
- Prise en charge des rescapées, des victimes, des déplacés, des retournés, des réfugiées et des blessés de guerre et leurs dépendants ;
- Paiement des factures en souffrance des centres de santé et des hôpitaux asphyxiés notamment à Erigenti, à Oïcha et en ville de Beni ;
- Appui substantiel des formations médicales au regard de la croissance du nombre de patients sinistrés ;
- Rétablissement urgent de la sécurité dans toute la zone sinistrée afin de permettre la reprise des activités socio-économiques (écoles, champs, élevage, commerce…) ;
- Dotation de la PNC et des services de sécurité en moyens susceptibles de faciliter leur travail et leur mobilité ;
- Redynamisation et réorganisation des opérations Sokola I en vue du rétablissement de la collaboration entre les FARDC et la population, gage pour la réussite ;
- Nécessité de finaliser le processus d’indentification à base biométrique des éléments des FARDC et celui de la bancarisation de la solde.
- Paiement régulier de la solde et des primes diverses des militaires au front ;
- Nécessité d’une politique d’encadrement des enfants, des jeunes, des démobilisations dans les zones de massacres ;
- Libération des crédits inscrits au budget du pouvoir central pour le compte des entités déconcentrées ;
- Augmentation des effectifs des éléments de la PNC dans les villes et les principales agglomérations ;
- Remplacement des éléments des FARDC, de la PNC, des autres services de sécurité et leurs chaînes de commandement par des ressortissants d’autres provinces que le Nord-Kivu ;
- Electrification de Beni et du reste de la Province afin de participer à la sécurité nocturne des populations.
- A l’Assemblée nationale
- - nécessité d’une commission d’enquête parlementaire en vue de dégager les responsabilités dans les défaillances et les dysfonctionnements constatés ;
- La tenue d’une rencontre entre les Députés nationaux du Nord-Kivu et ceux de la Province Orientale (Ituri) afin de permettre l’harmonisation dans la cohabitation des populations dans ces Provinces et de plancher sur les mouvements migratoires controversés des populations en provenance de Masisi.