Dans une déclaration du 21 juillet 2020, le premier ministre conteste le contreseing du Vice Premier Ministre de l’intérieur qui a contresigné les ordonnances du Président de la République portant sur des nominations au sein de l’armée et le la Magistrature.
Il soutient que le contreseing est un acte à haute portée politique et juridique qui relève de la compétence exclusive attachée à sa personne et ne peut se concevoir dans le cadre de l’intérim qu’il a confié au Vice Premier Ministre de l’intérieur suite à sa mission effecteur à Lubumbashi.
A ce propos, il convient de souligner que l’article 79 al 3 de la constitution dispose que Les ordonnances du Président de la République, autres que celles prévues aux
articles 78 alinéa premier 80, 84 et 143, sont contresignées par le Premier
Ministre. Les articles 81 et 82 en ce qui concerne la nomination au sein de l’armée et de la magistrature précisent également le contreseing du Premier Ministre.
Par le contreseing ministériel, le président de la République échappe donc au contrôle parlementaire et opère automatiquement un transfert de responsabilité. Dans ce cas, seul le Premier Ministre ou, le cas échéant, le ou les ministres contresignataires de l’acte présidentiel endosse la responsabilité politique devant le Parlement
La première question est de déterminer si le contreseing relève du pouvoir exclusif, intuitu personae du Premier Ministre ou du Pouvoir du Gouvernement ?
Le libellé de notre constitution fait référence au Premier Ministre mais ne précise pas qu’il s’agit de sa compétence exclusive.
Le constituant congolais s’est inspiré de la constitution française lors de la rédaction de notre constitution sur la question du contreseing.
Comme l’a souligné le Professeur Jean Louis Esambo « Les dispositions relatives à la cessation du mandat du premier ministre ou à l’obligation faite au premier ministre ainsi qu’aux autres membres du gouvernement de contresigner les actes du président de la République s’apparentent aux dispositions semblables à la Constitution française ». Jean Louis Esambo « la constitution congolaise du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme, » Harmattan page 64.
L’article 19 de la constitution française précise que le contreseing peut émaner du Premier Ministre ou des membres du gouvernement.
Le contreseing remplit, d’abord, la fonction d’authentification et d’exécution d’une décision, ensuite, de transfert de responsabilité et, enfin, de protection du domaine concerné par la décision.
Le contreseing impose à l’autorité contresignataire l’usage une compétence liée ; devant s’exercer dans la stricte observance des règles de procédure et de compétence. Il n’appartient pas à l’autorité contresignataire d’émettre des réserves ou des observations sur l’inconstitutionnalité éventuelle de la décision lui est soumise.
Le premier Ministre ou le Ministre contresignataire ne dispose d’aucune marge d’interprétation de la décision et le refus du contreseing s’apparente à un contrôle tacite sur la régularité de la décision à contresigner, compétence exclusivement réservée au conseil d’Etat ou la Cour Constitutionnelle,
Il échet de relever que le contreseing est le corollaire de l’irresponsabilité du Président de la République devant le Parlement ou de la responsabilité du gouvernement devant le même parlement.
Tout membre du gouvernement peut contresigner une ordonnance du chef de l’Etat puisque chaque membre du gouvernement est responsable devant le parlement.
Si le constituant précise que les ordonnances du Président sont contresignées par le Premier Ministre, c’est uniquement puisqu’il est le chef du gouvernement et n’exclut pas qu’un autre membre du gouvernement par ordre de préséance puisse exercer cette prérogative.
La deuxième question est de déterminer si le Premier Ministre se trouvait dans un cas d’empêchement ?
A ce propos, l’article 90 alinéa 2 de la constitution précise que « le gouvernement est dirigé par le Premier ministre, chef du Gouvernement. En cas d’empêchement, son intérim est assuré par le membre du Gouvernement qui a la préséance.
L’article 92 dernier alinéa de la constitution précise que « le Premier ministre peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres »
Les articles 15 et 16 de l’ordonnance n°20/016 du 27 mars 2020 portant organisation et fonctionnement du Gouvernement, modalités de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ainsi qu’entre les Membres du Gouvernement indiquent ce qui suit « Les Vice-premiers Ministres, assistent le Premier Ministre dans la coordination des activités gouvernementales…… A moins qu’il n’assume l’intérim du Premier Ministre en cas d’empêchement ou qu’il ne soit spécialement mandaté par lui, le Vice-premier Ministre exerce en temps normal les seules attributions qui sont de son ressort. »
Il ressort de toutes ces dispositions que les prérogatives du Premier Ministre peuvent s’exercer par un Vice Premier Ministre dans deux situations :
En cas d’un empêchement, l’intérim est assuré obligatoirement par le membre du gouvernement qui a la préséance, à savoir le Vice Premier Ministre de l’intérieur (Article 90 al 2 de la constitution).
En cas de délégation de pouvoir, L’intérim peut être assuré par n’importe quel Vice Premier Ministre spécialement mandaté par le Premier Ministre (Article 92 de la constitution cumulé avec l’article 16 de l’ordonnance précitée).
En droit administratif et constitutionnel, l’intérim résultant d’une délégation de pouvoir doit porter sur des prérogatives partielles, limitées et prévues par une disposition constitutionnelle ou normative. C’est pourquoi la constitution précise que le Premier Ministre peut déléguer certains de ses pouvoirs (Art 92 dernier alinéa de la constitution)
Par contre l’intérim en cas d’empêchement peut porter sur toutes les prérogatives ou une partie des prérogatives en fonction de l’impossibilité absolue ou partielle du titulaire d’accomplir ses fonctions ( Art 90 de la constitution)
Le fait que le Premier Ministre se trouvait sur le territoire de la République démocratique du Congo mais en dehors de la zone géographique du siège de son institution , peut-il être considéré comme empêché?
L’empêchement peut résulter d’une situation de fait ou de droit qui rend provisoirement impossible l’exercice des prérogatives résultant des fonctions du Premier Ministre sans qu’il soit départi de ses fonctions (absence, indisponibilité momentanée…).
En l’espèce, le Premier Ministre se trouvait dans une impossibilité matérielle de contresigner les ordonnances car il ne se trouvait pas physiquement dans la zone géographique du siège de son institution.
Le problème pourrait être résolu si nous disposons d’une législation sur la signature électronique permettant au Premier Ministre de contresigner les ordonnances du Chef de l’Etat quelque soit le lieu où il se trouve sur le territoire.
Beaucoup des pays ont résolu le problème par des lois sur la signature électronique sécurisée. Notre arsenal normatif ne dispose d’aucune loi ni règlement sur l’identification et la signature électronique des actes administratifs ou de gouvernement.
Dans le cadre de la redynamisation et la modernisation de l’administration, il conviendrait que notre pays se dote d’une législation spécifique sur la signature et l’identification électronique.
Nos autorités administratives ou politiques ne doivent pas être simplement être tributaires des signataires papiers, mode archaïque et frein pour la célérité des décisions administratives.
A titre d’exemple, les conseils des ministres se sont tenus par vidéoconférence durant cette période de Covid , on peut s’interroger sur leur régularité sur le plan juridique vu l’absence de législation permettant l’identification et la signature électronique des autorités administratives ou politiques.
En définitive, Le Premier Ministre ne pouvait contresigner avec célérité et confidentialité les ordonnances du Chef de l’Etat puisque le déplacement physique de ses ordonnances jusqu’à Lubumbashi s’imposait vu l’’absence de législation sur l’identification et la signature électronique.
Il se trouvait dans un cas d’empêchement et conformément à l’article 90 de la constitution, l’intérim devait être assuré obligatoirement par le membre du gouvernement ayant préséance à savoir le Vice Premier Ministre en charge de l’intérieur.
Me Papis Tshimpangila
Avocat au Barreau de Bruxelles et Kananga, pratiquant le Droit Administratif et des libertés publiques.
Doctorant en Droit Constitutionnel
Conseil à la Cour Pénale Internationale
Avocat Conseil Honoraire de l’UDPS et du feu Etienne Tshisekedi
Conseiller Spécial Honoraire du Premier Ministre de RD Congo.